Une sélection de livres (neuf et d’occasion) signée Monsieur Nostalgie…
Demain soir, il sera trop tard. Il ne vous reste que vingt-quatre heures pour trouver le livre idoine. Celui qui vous fera passer pour un être supérieur, c’est-à-dire délicat dans ses sentiments et abrasif au niveau de ses idées. Un être sûr de son goût, oscillant entre le brûlot et une littérature populaire non-victimaire, entre le bagne et les contreforts du Morvan, entre une forme de poésie élitiste et l’ambiance cabaret « seins nus ». Contrairement à ce qu’écrivait Jules Renard dans son journal à la date du 5 décembre 1903 : « On a vite fait de savoir si un poète a du talent. Pour les prosateurs, c’est un peu plus long », chez ceux que je vais vous présenter ici-bas, le talent éclate, irradie et brûle la peau. La plume ne ment pas. On les lit, le sang bouillant et l’esprit querelleur, désinhibé de toutes les fadaises vendues dans les rentrées littéraires avec ce sourire commercial insupportable de rigueur. Qui sont-ils ? Des réfractaires, des dissidents plus ou moins bruyants, de grands oubliés, des figures de l’ancien monde qui viennent nous réveiller à la Noël, des stylistes qui tambourinent fort dans notre cœur. Ils crient le désespoir des pestiférés, ils aboient en dehors des meutes, ils chantent les territoires reculés, ils creusent leur sillon sans regarder la copie du voisin, parfois même, ils font voltiger leur soutien-gorge, n’essayez pas de les capturer, de les classer, de les louanger, ils sont sauvages par nature. Instables et donc, d’une permanence salutaire. Saluons d’abord l’initiative des éditions La mouette de Minerve de publier L’Escarmouche, l’hebdomadaire de huit pages lancé par Georges Darien (1862-1921) entre novembre 1893 et mars 1894, illustré par ses amis qui s’appelaient Toulouse-Lautrec, Bonnard ou Vallotton. Comme tous les Belmondophiles de ma génération, le nom de cet écrivain écorché jusqu’au martyr, m’était parvenu grâce à Louis Malle dont le film « Le voleur » sorti en 1967 était adapté de son roman. J’avais lu Biribi, il y a fort longtemps dans ma jeunesse grinçante, et n’avais pas oublié cette langue âpre, cette violence non contenue, ce flot d’injustices qui ne s’apaise jamais. Mais je ne savais rien du polémiste ; Bruno Lafourcade, l’un des meilleurs pugilistes des lettres du moment, nous donne toutes les clés de compréhension dans une préface et des notes brillantes : « Darien s’en prend aux opportunistes, aux corrompus, aux faux humanistes. Le ton est celui du satiriste, de l’anarchiste, du pamphlétaire ; Darien a tout du polémiste pré-célinien ». Avouez que ça donne envie de sortir ses gants ! Traversons les Alpes et retrouvons Leopardi (1798-1837). Depuis peu, les jeunes écrivains prometteurs, ceux qui briguent les prix d’automne le citent, le commentent l’air pénétré, lui font allégeance et y puisent, semble-t-il, des raisons d’écrire sans très bien connaître son onde multiple. Je préfère me fier au plus grand spécialiste français des Canti dont la traduction (La Dogana 1987, puis Flammarion 1995) fait loi. Il s’agit de Michel Orcel, ancien maître de conférences à l’Université et Grand Prix de poésie de l’Académie française en 2020 pour l’ensemble de son œuvre, il vient de réunir en un seul volume « ses dix essais les plus importants sur le poète de Recanati ». C’est magistral, érudit, de haute volée, toute la puissance de la poésie léopardienne nous est révélée dans cette étude qu’il serait impardonnable de ne pas posséder dans sa bibliothèque. Retournons sur les sentiers de glaise, au milieu des pierres et des fougères, dans le ruissellement des campagnes. Les éditions Le temps qu’il fait republie (30 ans après sa première parution) Marcher à l’estime de l’auvergnat Patrick Cloux, le chroniqueur des chemins d’errance. L’édition augmentée de ce livre sous-titré « Une chronique de nature », bien avant la vogue des marcheurs béats et des randonneurs ébahis, nous appelle à fouler la terre, à sentir les écorces, à faire turbiner notre tête au contact de la nature ; Cloux nous apprend enfin à regarder l’éphémère sans s’ériger en gourou vert. Un écrivain qui démarre cette quête par cette phrase : « Les livres de nature m’ennuient souvent, malgré leurs photographies » sera assurément un bon guide et un excellent compagnon de voyage. Du Puy-de-Dôme, remontons jusqu’en Bourgogne, à la rencontre du « Maître du bonheur » raconté par sa fille dans Mon père Henri Vincenot (1912-1985), ce livre de souvenirs a le miroitement des terrines de Commarin. Demain soir, je rêve de manger un cuissot de marcassin qui baigne « dans une splendide marinade violine aux yeux d’huile », la spécialité du père Vincenot.
En cette période de fêtes, pensez également à vous abonner aux revues littéraires, ce sont elles les véritables influenceuses des temps incertains, je pense à Livr’arbitres de Patrick Wagner, au Bulletin Célinien de Marc Laudelout ou au Cahier Marcel Aymé édité par la société des amis de Marcel Aymé avec le concours du département du Jura. Enfin, dans le titre de cette chronique, je vous parlais d’une certaine Lady Chinchilla, je vous dirais juste qu’elle fit ses débuts au Crazy Horse Saloon et fut connue positivement comme doublure de Brigitte Bardot. Si vous avez la chance de trouver un exemplaire rare d’Histoire et sociologie du strip-tease de Jean Charvil aux éditions Planète datant de 1969 chez un bouquiniste, votre réveillon sera pleinement réussi ! Joyeux Noël !
L’Escarmouche – Georges Darien – Notes & préface Bruno Lafourcade – La mouette de Minerve
Leopardi (poésie, pensée, psyché) – Michel Orcel – Arcades Ambo
Marcher à l’estime – Patrick Cloux – Le temps qu’il fait
Mon père Henri Vincenot – Claudine Vincenot – Le livre de poche – Numéro 14095
Le bulletin Célinien
Le Bulletin Célinien | Périodique mensuel consacré à Louis-Ferdinand Céline (bulletincelinien.com)
Cahier Marcel Aymé
SAMA Cahiers Marcel Aymé (CMA) (marcelayme.net)
Histoire et sociologie du strip-tease – Jean Charvil – Préface de Jean Duvignaud – Planète