Au bord de la baie de Sébastopol


C’était l’été, un week-end sans doute, voici à peine quatre ans. Valentin et moi nous musardions sur les bords de la baie de Sébastopol, immense et lumineuse, à peine tachée par la masse gris-sombre de navires militaires russes, timidement blottis dans un repli de la rade.

Après l’explosion de l’URSS, Valentin, fidèle compagnon d’équipées passées à arpenter les mornes plaines du sud de l’Ukraine, me servit d’interprète jusqu’au fin fond de campagnes à la dérive. C’était une sorte de professeur Nimbus, au profil mitterrandien, brillant chercheur à l’Institut de biologie des mers du sud dont le siège, d’un blanc éclatant, surplombe encore la baie.

Nous avons bu une bière, une Obolone, je crois, puis nous nous sommes mêlés à la foule nonchalante et bon enfant qui déambulait pendant que le soir descendait doucement. Près d’un monument néo-classique, une petite troupe d’une quinzaine de personnes en uniforme, drapeaux russes au vent, défilait. Elle s’arrêta, entama un simulacre de salut aux couleurs dans l’indifférence générale. J’interrogeai Valentin du regard. « Ce n’est rien, quelques nationalistes un peu dérangés, n’y fais pas attention».

Le 17 mars dernier après « l’immense » succès du référendum de rattachement de la Crimée à la Russie, je recevais un mail claironnant de Valentin. Il commençait ainsi : « Chez nous c’est la fête ! ». La suite laissait clairement entendre que lui aussi y participait pleinement. Et pour me donner une idée de la liesse qui régnait à Sébastopol, il m’envoya la photo d’une affiche de propagande sur laquelle on voyait deux cartes de la Crimée, l’une barrée d’une croix gammée, l’autre aux couleurs de la Russie avec en légende : « Il faut choisir ! ».

Ainsi, Valentin, ouvert au monde, généreux, espiègle et bon vivant, avait-il lui aussi glissé vers les affres d’un nationalisme obscur et inquiétant ? La suite de notre correspondance ne devait pas infirmer cette dérive. Je me fâchai et lui répondit, trop brutalement sans doute.

Quelques jours plus tard, il m’envoyait des photos de l’explosion des fleurs qui tapissent au printemps les montagnes de Crimée. Puis, bien qu’il me sache mécréant, mais juif quand même, il m’envoya des photos de la synagogue de Sébastopol en construction. Une manière de reprendre contact, de me tendre la main. Je n’ai toujours pas répondu.

Valentin, comme un frère…

 



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