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100 soldats de Napoléon enterrés au fond du jardin!


100 soldats de Napoléon enterrés au fond du jardin!
Villa Victoria, dans le quartier de la Croix-des-Gardes, à Cannes. Au second plan, la mer Méditerranée DR.

Le film « Napoléon » de Ridley Scott a déclenché un regain d’intérêt pour l’empereur des Français. Les corps des combattants sous les ordres de ce grand conquérant de l’Europe – 460 000 soldats morts – sont disséminés dans de nombreux pays du continent jusqu’en Russie… et même au fond du jardin devant chez moi!


La Villa Victoria, imposante bâtisse située dans l’ancien quartier des Anglais à Cannes s’étend le long de l’ancienne route de Fréjus. Dans les années 1850, un riche marchand de Birmingham, Sir Thomas Robinson Woolfield (1800-1888), la fit construire dans le style des manoirs anglais du XVème siècle. Woolfield édifia, dans cette immense propriété qui s’étendait alors jusqu’à la mer, la première église anglicane de la ville, « Christ Church », et plus tard, le premier court de tennis de France. Avec son jardinier, John Taylor, il fit venir du jardin botanique de Sidney, la plupart des plantes exotiques que l’on trouve de nos jours partout en France et qu’il eut le mérite d’acclimater à nos contrées, comme l’indique l’écrivain cannois Éric Starck dans son livre Cannes histoire et stories. En aménageant le jardin de trois hectares, quelle ne fut pas sa surprise cependant de découvrir plus d’une centaine de squelettes, enfouis dans le sable du terrain ! Les langues des Cannois de l’époque, qui lui avaient vendu ces anciennes dunes, se délièrent enfin et l’on apprit qu’il s’agissait des corps de conscrits de Napoléon qui rejoignaient l’Armée d’Italie à partir de Toulon pour compenser les pertes importantes subies à la bataille de Marengo lors de la deuxième Campagne d’Italie (1799-1800). Épuisés et malades, ils avaient été parqués dans l’église-forteresse Notre-Dame d’Espérance, qui surplombe la ville depuis le Moyen Âge, et ils y étaient passés de vie à trépas[1]. Gênées par cet immense fardeau humain, les autorités de l’époque les avaient fait enterrer nus dans les dunes, seuls les officiers furent enterrés dans cinq cercueils.

Fièvre immobilière

« Désirant s’assurer de la véracité de ces propos, M. Woolfield fit venir de Nice un éminent chirurgien anglais, qui, après avoir examiné les ossements confirma qu’il s’agissait bien de jeunes gens » rappelle, dans son ouvrage La Belle Epoque à Cannes et sur la côte d’Azur, l’écrivain cannois et vice-président de l’association des descendants des anciennes familles cannoises Christian Rizzo[2]. « Bouleversé par cette découverte, M. Woolfield décida de les réunir dans deux caveaux surmontés d’un mausolée et entourés de cyprès. Malheureusement, lors de la construction du chemin de fer [en 1864], la ligne passa sur le terrain où avaient été construits les caveaux entraînant leur destruction définitive », ajoute-t-il. Dans un ouvrage intitulé Thomas Robinson Woolfield’s Life at Cannes and Lord’s Brougham’s First arrival, une des nièces de Sir Thomas retrace ces événements.

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Proie de la spéculation immobilière effrénée qui s’empara de Cannes au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la propriété de Sir Thomas Woolfield a finalement été vendue à la découpe au plus offrant. La Villa Victoria est devenue une copropriété, tandis que l’église Christ Church et sa bibliothèque étaient rasées sans état d’âme. Le merveilleux jardin aux essences rares était désormais voué à accueillir la construction de nombreuses villas et d’immeubles à l’architecture disparate.

Plan de la propriété Woolfield – Villa Victoria et Parc. Les conscrits de Napoléon ont été enterrés à l’emplacement de la voie ferrée actuelle.

Les squelettes étaient nickel

Plusieurs décennies après cette poussée de fièvre immobilière, la macabre affaire des conscrits de Napoléon ressurgit. En mars 2009, feu Bernard Rey, président de la « Team F1 » chez Renault, alors propriétaire de la villa Cynthia dans le parc de la Villa Victoria, décida de faire creuser une piscine. Les terrassiers y découvrirent trois squelettes. C’est sans aucun égard pour les pauvres défunts que l’un de ces ouvriers, interrogé par la gazette régionale déclara : « Au départ, j’ai explosé un crâne, je me suis demandé ce que c’était. Puis je suis descendu de mon engin, et j’ai trouvé une mâchoire. Après, il y avait tous ces os, que je déterrais en grattant à la main. Mais les squelettes étaient nickel, on voyait bien qu’ils étaient vieux. Ce n’est pas comme si j’avais déterré un cadavre »[3]. Le Figaro titra de son côté : « Trois squelettes humains dans un jardin à Cannes », sans apporter plus de détails[4]. Les squelettes furent transportés à Nice pour y être expertisés et l’on n’entendit plus jamais parler de cette encombrante découverte.

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Il n’y eut jamais ni plaque commémorative en souvenir des conscrits napoléoniens et de leurs officiers, ni même de visites d’historiens sur le site en question. Sir Thomas Woolfield, tout comme son illustre contemporain Lord Henry Brougham (1778-1868) transforma le village de pêcheurs qu’était Cannes au 19ème siècle, en une ville cosmopolite florissante attirant le gotha international au fil des époques. Mais à la différence de Lord Brougham, il tomba dans l’oubli le plus total. L’inscription sur sa tombe au cimetière cannois du Grand-Jas s’efface peu à peu.

Tombe de Sir Thomas Robinson Woolfield, Cannes.

« Nul ne sait aujourd’hui ce que sont devenus les restes de ces malheureux conscrits napoléoniens auxquels, ironie du sort, un Anglais avait voulu rendre un dernier hommage », conclut d’ailleurs à juste titre Christian Rizzo, eu égard à cet épisode peu glorieux de l’histoire locale.

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[1] Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et d’arrondissement de Grasse, 117ème année, TomeXXX, Année 1983.

[2] Christian Rizzo : La Belle Epoque à Cannes et sur la côte d’Azur, 2023, 800 pages, 500 illustrations. Contact : Christian Rizzo sur Facebook ou Messenger.

[3] https://draguignan.maville.com/actu/actudet_–les-squelettes-deterres-conservent-tout-leur-mystere-_12357-854720_actu.Htm

[4] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/03/10/01016-20090310ARTFIG00179-trois-squelettes-humains-dans-un-jardin-a-cannes-.php



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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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