Le médoc anti-woke

Folie contre folie, la « déconstruction » n’épargne personne – pas même les déconstructeurs


Le médoc anti-woke
Sylvie Perez. © Sonia Fitoussi

Sylvie Perez redonne espoir. Dans son nouvel essai, notre consœur décrit la riposte anglo-saxonne au wokisme. Universitaires, journalistes et écrivains sont de plus en plus nombreux à combattre ce totalitarisme qui sape la culture occidentale. Les Français seraient inspirés de suivre le mouvement.


« Les tenants du wokisme sont formels, le wokisme n’existe pas » : cette formule ironique ouvre l’excellent essai de la journaliste Sylvie Perez qui réplique en avertissant : non seulement le wokisme existe, mais il est une doctrine totalitaire qui a envahi toutes les strates des sociétés occidentales. Paradoxalement, le wokisme « progresse avec la bénédiction des sociétés qu’il veut renverser » et bénéficie du soutien des médias, des universités, des institutions culturelles, des organisations internationales et des entreprises qui se complaisent dans le sectarisme diversitaire de ses différentes branches : théorie du genre, antiracisme « racialiste », néoféminisme ou décolonialisme.

Longtemps, les adeptes de cette nouvelle religion ont cru que leur heure était venue et que plus rien ne viendrait entraver leur marche en avant. Mais des universitaires, des journalistes, des écrivains ou de simples citoyens « s’attellent à déjouer l’avènement d’un monde orwellien », écrit Sylvie Perez. Elle démontre l’existence d‘une « contre-offensive anglo-saxonne » sonnant la charge contre le dogme woke. L’essayiste a rencontré les « hérétiques » qui s’inquiètent de l’emprise de cette idéologie et, conséquemment, du déclin de notre culture. Certains d’entre eux ont été victimes de cabales, de harcèlements, voire de licenciements abusifs. Plutôt que de se résigner, ils ont décidé de réagir et d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour défaire ce nouveau totalitarisme.

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Au commencement était le philosophe américain Allan Bloom, écrit Sylvie Perez, citant Eric Kaufmann, professeur de sciences politiques à Londres. L’auteur de L’Âme désarmée décrit à la fin des années 1980 l’influence néfaste du politiquement correct dans l’université et la société américaines. Le wokisme, affirme Kaufmann, est un prolongement du politiquement correct « en plus puissant » – il parachève une vision du monde dogmatique et totalisante autour des notions de race, de genre et de sexualité englobées dans le concept fourre-tout de « justice sociale ». Mais à la différence du politiquement correct, qualifié de « phénomène aux allures staliniennes » par le New York Times en 1990, l’idéologie woke a été rapidement glorifiée par la presse anglo-saxonne. Pourtant, résultat heureux d’une critique qui mêle travaux universitaires et dénonciations ironiques, les syntagmes « wokisme » et « woke » sont devenus synonymes tout à la fois d’idéologie mortifère et de crétinisme fanatique. Les moutons woke ne supportent plus de les entendre – le wokisme n’existe pas, bêlent-ils en tentant pourtant d’empêcher les actions le dénonçant.

La résistance s’organise

Bret Weinstein, Bari Weiss, le regretté Roger Scruton, Douglas Murray ou J. K. Rowling sont parmi les plus connus de ces philosophes, sociologues, écrivains ou journalistes qui ont déclaré la guerre au wokisme. Sylvie Perez rappelle leurs faits d’armes. Elle souligne leur courage et leur abnégation. D’autres, moins connus, n’hésitent pas à risquer également leur réputation ou leur carrière. La journaliste décrit leurs parcours au sein des associations, fondations et plateformes s’attaquant frontalement au wokisme et défendant moralement et juridiquement ses victimes. Autre exemple de contre-attaque, l’université d’Austin, au Texas (UATX). Créée par des universitaires en butte aux calomnies ou contraints à la démission, elle sera « dédiée à la liberté académique et au débat civil », ouvrira ses portes en 2024 et sera labellisée sans « comités de dénonciation, comités de surveillance, bureaux diversité-inclusion, décolonisation des listes de lecture, triggers warning, safespaces, etc. » Dès que ce projet a été rendu public, 3 500 universitaires ont proposé leurs services, un couple de philanthropes, « préoccupé par l’écroulement de la liberté d’expression » a fait un don de 10 millions de dollars, des milliers de modestes citoyens ont versé leur obole. La résistance s’organise mais aura fort à faire : l’administration Biden soutient l’idéologie du genre qui continue « d’être enseignée aux plus petits, dès trois ans ». D’un autre côté, le wokisme, comme toute révolution totalitaire, dévore ses enfants : les féministes les plus farouches sont désormais accusées de maltraiter les transfemmes ; après avoir combattu l’« hétéronormativité », les homosexuels sont soupçonnés de vouloir stigmatiser les transgenres ; les antiracistes « racialistes » reprochent à une actrice « racisée » de ne pas être assez noire pour jouer le rôle de Nina Simone ; la notion d’intersectionnalité hiérarchise les victimes, « une lesbienne noire peut prétendre à plus de droits qu’une hétérosexuelle noire » et le slogan Black Trans Lives Matter ringardise le sigle BLM. Folie contre folie, la « déconstruction » n’épargne personne – pas même les déconstructeurs. Cependant, en attendant le résultat final de cette probable autodestruction, l’idéologie woke saccage la culture occidentale, s’alarme à juste titre Sylvie Perez.

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Après les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni, le wokisme a contaminé les universités et les milieux médiatico-culturels français. La contre-offensive anglo-saxonne est un exemple à suivre, mais le combat sera rude. Car l’idéologie woke, aussi fumeuse et « brouillonne » soit-elle, compte dans ses rangs des militants acharnés, intolérants et violents, prêts à tout pour conquérir des « droits » qui ne sont en réalité souvent que des passe-droits permettant aux plus opportunistes d’entre eux de faire carrière dans les médias, à l’université ou dans le monde dit de la culture. Pour contrer le wokisme, Sylvie Perez préconise de ne pas se laisser intimider et de rendre coup pour coup. Elle propose à cet effet un remarquable manuel de stratégies opératoires ayant fait leurs preuves outre-Atlantique et outre-Manche. « Les reconstructeurs sont à l’œuvre. L’ère post-woke est devant nous », conclut-elle. Le combat ne fait que commencer…

Sylvie Perez, En finir avec le wokisme, Cerf, 2023.

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Décembre 2023 – Causeur #118

Article extrait du Magazine Causeur




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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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