Les universitaires, fiers et farauds de leur indépendance, préconisent très largement l’usage de l’écriture inclusive et acceptent globalement les formes langagières les plus fautives, sous prétexte que ce sont les usages modernes d’une langue en mouvement. Il est temps, estime notre chroniqueur, de mettre au pas ces pontifes qui détériorent la langue et mènent à l’échec leurs étudiants.
La linguistique, pour l’essentiel, est descriptive. La grammaire, elle, est normative : elle enseigne le « bon usage » — ce n’est pas un hasard si c’est le titre que Maurice Grevisse a donné en 1936 à sa grammaire, constamment enrichie et rééditée depuis cette époque.
Évidemment, la grammaire, comme l’orthographe, est susceptible d’évolutions. Mais Grevisse, en puisant ses exemples chez les écrivains, limitait la modernisation : plus personne ne songe à boycotter « car », honni par les Précieux, ou à s’indigner devant « malgré que » utilisé en lieu et place de « bien que » par Gide qui en a popularisé l’usage.
Invasions barbares
Gide, et pas les apaches de son temps, comme on appelait alors les racailles. L’usage passe par ces grands manieurs de langage que sont les (bons) écrivains, pas par le sabir articulé entre deux borborygmes par les narcos de Marseille ou la syntaxe désarticulé de Despentes après la sixième bière. Et accepter comme norme nouvelle toutes les approximations aberrantes essayées par les gens de la rue — et j’inclus dans ce groupe un bon nombre de journalistes, qui écrivent « pallier à », « après que je sois » ou « professeure », « auteure » et autres barbarismes.
Parce qu’il s’agit bien de faire barrage aux barbares. Si l’on baisse la garde sur la langue, nous serons confrontés demain à une France éclatée en dialectes aussi divers que les « communautés » que l’on tente de nous imposer pour déchirer le tissu national. L’enjeu est non seulement normatif, il est politique. Ne pas enseigner rigoureusement la grammaire à l’école revient à ouvrir la porte aux fanatiques et aux dynamiteurs. Ceux qui penchent pour le laxisme ouvrent la voie (et ils en sont bien conscients, leurs options politiques le prouvent jusqu’à l’écœurement) à l’éparpillement façon puzzle de la République française. Allez, parions que Samuel Paty ou Dominique Bernard parlaient un bon français. Tolérer le magma linguistique où tant de nos concitoyens sont aujourd’hui embourbés, c’est tendre le couteau aux assassins : parions que le français des frères Kouachi était aléatoire.
A lire aussi: Langue française à Villers-Cotterêts: vous reprendrez bien quelques lieux communs…
D’autant que, comme Roland Barthes l’a jadis souligné, « la langue est fasciste », elle oblige à dire. Dans les cervelles évidées des universitaires — des « linguistes atterrés » et tout à fait atterrants — qui en mai dernier ont signé dans la collection Tracts de Gallimard un pamphlet d’une violence singulière intitulé Le français va très bien, merci, accepter toutes les déjections de l’oralité la plus baveuse est une lutte contre les « fascistes » qui, comme chacun sait, contrôlent le pays. C’est ainsi que l’un des signataires de ce tract, Médéric Gasquet-Cyrus, maître de conférences à Aix-Marseille et spécialiste du « parler marseillais », se moque d’un étudiant hâtivement catalogué au RN parce qu’il avait épinglé une jeune lycéenne bafouillant « si j’aurais ». « C’est une tournure que tout le monde peut faire », dit notre universitaire. Vu la façon dont il exprime sa hargne sur les agrégés, gageons qu’il a omis de passer le seul concours où la grammaire est vraiment au programme. Mais qu’on l’a recruté sur sa capacité à distinguer la cagole marseillaise de la radasse hexagonale.
Ses collègues ne sont pas en reste. Leur « tract » accumule les aberrations langagières — jusqu’à proposer de traduire Molière en français contemporain, parce que « langue de Molière » ne correspond pas à la façon dont causent les dealers et les toxicos. Ou d’abandonner la référence constitutionnelle au « français », afin d’intégrer toutes les langues régionales — le « marseillais aussi, hé, fadoli ! » L’idée est bien sûr d’aboutir à une créolisation du français, afin de décomplexer tous ceux qui parlent une langue hachée menue.
Des pourfendeurs de la nation intéressés
« L’Académie française propose, surtout aujourd’hui, une vision trop souvent élitiste de la langue », ajoutent ces doctes pourfendeurs de la nation. Certains d’entre eux ont publié en 2016 l’Académie contre la langue française — le dossier « féminisation », où Eliane Viennot et ses complices en arnaques linguistiques défendent le « e » féminisant — comme dans verge et bite : ces ânes persistent à confondre le féminin et le femelle, à se baptiser « maîtresses de conférence » — mais reculent devant le ridicule et continuent à appeler leur avocate « maître ».
Mais ils montrent quand même le bout de l’oreille, en suggérant que l’Académie « élise pour moitié des linguistes », afin de montrer le droit chemin de la diversité aux croulants (supposés) du Quai Conti. Idéologues, mais intéressés, n’est-ce pas…
Évidemment, ce laxisme de gauche s’applique à l’orthographe : constatant que celle de Montaigne ou de Rabelais est fantaisiste, nos atterrés en concluent (c’est André Chervel qui après 68 a lancé cette idée baroque) que la dictée est un exercice dictatorial. Voilà un moyen d’identifier les fascistes auquel Gramsci n’avait pas pensé.
A lire aussi: Radio Classique parle français: quel scandale!
Bien sûr que la langue française, bien articulée, est élitiste ! Mais l’élitisme est une donnée fondamentale de la République, c’est ainsi que nous avons longtemps poussé chaque élève au plus haut de ses capacités. J’ai démontré largement dans mes livres que l’égalitarisme imposé par les « pédagogues » qui ont investi la rue de Grenelle après l’élection de Mitterrand a produit bien plus d’inégalités que l’élitisme qu’il a renversé : parce que à tolérer les formes fautives et les accents les plus corrompus dans la bouche de gosses qui n’avaient pas tété le bon usage avec le lait de leurs mères, on les condamne à rester à vie dans leur ghetto. En entrant jadis à l’ENS, en passant l’agrégation, j’ai appris à masquer mon accent marseillais, afin de ne pas heurter les élèves normands auxquels m’a confronté ma première nomination. Je le ressors quand c’est nécessaire.
Et ce n’est pas l’accent de Paris qui détermine la norme, n’en déplaise aux complexés d’Aix-Marseille, c’est celui de la Touraine… Ciel, me voici glottophobe…
… Pas même : je sais seulement que pour faire réussir les enfants d’en-bas, il faut leur apprendre la langue et la culture d’en-haut. Parce qu’il n’y a pas de culture d’en-bas tant que les mêmes élites se reproduisent en haut — voir Marx et Bourdieu. Il faut apprendre aux déshérités les façons les plus exquises de la langue — sous peine de les voir préférer, un jour de désespoir, l’arabe corrompu des semeurs de terrorisme.
Quant à nos universitaires prêcheurs de haine et de communautarismes en guerre, il est plus que temps qu’une Inspection générale du Supérieur, extérieure à la clique, évalue sérieusement les « recherches » effectuées par ces briseurs de République, avec le pouvoir de les révoquer en cas de malfaisance notoire. Les enseignants du Supérieur ne doivent plus se réclamer de leur poste comme d’une clause d’impunité, ils doivent rendre des comptes à la République qui les nourrit. Quitte à les reverser dans le Secondaire, s’ils ont des titres suffisants, ou à leur proposer un stage dans les rizières de Camargue, afin de les rééduquer. Ils libèreront ainsi des postes sur lesquels on pourra enfin nommer de vrais chercheurs — ceux qui trouvent.
PS. Je n’ai rien personnellement contre Médéric Gasquet-Cyrus — AMU est une fac pleine de demi-pointures. Mais comme, lors du récent Salon du livre de Marseille, il m’a précisé qu’il utilisait l’un de mes ouvrages (C’est le français qu’on assassine, 2017) pour démontrer à ses étudiants, pris en otages, ce qu’est une pensée fausse et de droite, je me suis penché sur son cas. Un pauvre type qui a refusé avec hauteur que je vienne préciser aux dits étudiants deux ou trois points qu’il n’aurait qu’effleurés. Ah, la crainte de la concurrence…
Price: 19,00 € 21 used & new available from 8,91 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !