Ukraine : la France n’a plus les moyens de ses émotions


Ukraine : la France n’a plus les moyens de ses émotions

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« La sécurité a un coût, mais le coût de l’insécurité est beaucoup plus élevé » a prévenu Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’OTAN en visite mardi dernier à l’Elysée. 

Professionnalisation des armées, réduction de l’empreinte terrestre, changement de portage, modernisation de la carte militaire, déflation des effectifs. Une ribambelle de slogans et de litotes technocratiques rythme le quotidien des armées depuis vingt-cinq ans. Au mépris des mises en garde stratégiques répétées au début de chaque livre blanc.
Cette défaite de la pensée militaire explique le changement de nature du livre blanc. Hier vision stratégique qui tirait les leçons des grands événements internationaux pour les décennies à venir, le livre blanc de la Défense nationale est aujourd’hui une lecture quinquennale comptable de nos moyens. Dans les premiers chapitres, les responsabilités historiques de la France et l’émergence d’un monde multipolaire incertain sont bien rappelées, mais les perspectives stratégiques restent prudentes sinon elliptiques.
« Si le spectre d’une conflagration majeure née en Europe s’est éloigné, les européens ne peuvent ignorer le monde instable qui les entoure (…) la Russie se donne les moyens économiques et militaires d’une politique de puissance. La mise en œuvre de ce projet reste cependant incertaine » Et pour cause, lorsqu’il s’agit d’établir le nouveau format des armées qui découle de ces formules balancées façon Sciences Po, le livre Blanc se réduit à un bref aperçu des arbitrages budgétaires de la Loi de Programmation Militaire. Sans rapport avec les ambitions stratégiques évoquées en amont. Cocus, les prestigieux rédacteurs du livre blanc ont formé un groupe d’experts schizophrènes, convoqués pour parapher les choix de Bercy et habiller de leur aura le renoncement de la France à la puissance.
En 1990, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Défense, s’alarmait de la tentation de « toucher les dividendes de la paix« . Dès 1996, Jacques Chirac en supprimant le service militaire, avait confirmé ses craintes. Nicolas Sarkozy s’était servi du Livre Blanc de 2008 pour démanteler nos bases et nos accords de coopération en Afrique. Progressivement, l’Armée de Terre française s’est réduite en volume à 7 brigades interarmes, soit un petit corps d’Armée à deux divisions: 15.000 hommes projetables (contre 30.000 en 2008) appuyés par 200 chars lourds, un demi porte-avions, « une trentaine de drones« … Ce n’est plus une Armée, c’est un corps expéditionnaire! Un peu à l’image du Second Empire quand les troupes françaises s’ingéraient partout dans le monde pour s’effondrer en quelques semaines devant l’armée prussienne. Les troupes de Marine et la Légion étrangère, qui chaque année commémorent avec Bazeilles et Camerone les héroïques défaites de Napoléon III, sont les rares unités à être préservées tandis que les unités métropolitaines sont décimés. Tout un symbole.

Le dernier livre blanc évoquait une possible « surprise voire rupture stratégique« . Un an plus tard, avec la crise ukrainienne, c’est bien à une « surprise stratégique » auquel nous assistons impuissant. Une surprise pourtant prévisible si l’intervention russe en Géorgie en 2008 avait été davantage analysée. Mais elle a été minimisée en 2013. Sans doute parce qu’elle ne correspondait pas au schéma budgétaire de la LPM 2015-2019 arraché en amont par Jean-Yves Le Drian.

Furieux de voir l’Europe de la Défense s’enliser, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères ont réprimandé leurs partenaires européens le 10 février à Bruxelles: « L’Union européenne doit assumer ses responsabilités en matière de sécurité internationale. La France appelle vigoureusement ses partenaires à s’en donner les moyens » Diantre! Mais la France qui vient de rapatrier les restes de la Brigade franco-allemande est bien mal placée pour faire la leçon à l’Europe.

*Photo : Jerome Delay/AP/SIPA. AP21523296_000008.



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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