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La honte et la culpabilité racontées à ma fille


La honte et la culpabilité racontées à ma fille

Ces dernières années, films et livres nous dévoilent l’autre face de la Seconde Guerre mondiale – la face allemande. Que ce soit le bon et courageux Claus von Stauffenberg dans Walkyrie incarnant ceux qui résistaient à Hitler ou Une femme à Berlin qui raconte les exactions de l’Armée Rouge durant les premières semaines qui ont suivi la fin de la guerre, ces histoires – et leur accueil – tendent à élargir le camp des victimes de cette guerre pour y inclure presque tout le monde. Obama n’avait-il pas choisi pour sa première visite en Europe de se rendre sur les plages du Débarquement, à Dachau mais aussi à Dresde ?

Dans Le Liseur, Stephen Daldry, le metteur en scène (Billy Elliot, the Hours), et David Hare le scénariste (The Hours) se livrent à une énième « problématisation » de notre relation à ce lourd passé. Avec beaucoup de talent et une maîtrise parfaite du septième art, ce duo malin arrive à jouer un sacré tour aux spectateurs : les faire craquer pour une ancienne gardienne d’Auschwitz. Le fait que celle-ci est interprétée par Kate Winslet peut effectivement être considéré comme une circonstance atténuante, mais la manipulation reste flagrante.

L’idée de Bernhard Schlink, l’auteur du roman éponyme dont est tiré le film, n’est pas tout-à-fait de la première fraîcheur mais elle marche toujours : un secret intime se superpose à une énigme de l’Histoire, la grande, la vraie. Et nous voilà donc emballés par Hanna Schmitz, une jeune et belle Allemande de la classe ouvrière qui a quelque chose de terrible et honteux à cacher. À vrai dire, dans l’Allemagne de 1958, les gens portant un passé inavouable ne manquent pas. Mais chez elle, et c’est là que le mélo arrive, tout a commencé par une histoire en minuscule, celle de la rencontre entre un adolescent de 15 ans, Michael Berg (David Kross), et une femme mure. Amour d’un été, initiation pour lui, vieille blessure chez elle – on connaît. Que cette dame adore qu’on lui fasse la lecture des grands classiques de la littérature mondiale est intéressant voire prometteur – on connaît au moins une liseuse (Miou-Miou dans La Lectrice de Michel Deville). Mais il ne s’agit pas ici de l’érotisme de la littérature mais de l’édification du lecteur à grand coup de pathos historique. Et là, ça coince. Si l’objectif était de porter un regard nouveau sur le rapport entre la « génération née innocente » et celle de ses parents, c’est raté.

Winslet incarne à merveille la femme hantée qui assouvit son besoin d’amour dans une histoire sans avenir avec un adolescent. Elle est moins convaincante dans le rôle de la brute, capable de pleurer quand on lui lit un roman et imperméable à la souffrance humaine concrète. Ouvrière chez Siemens engagée dans la SS, elle laisse de marbre quand elle commet les pires horreurs pour sauver la face. Bref, on n’y croit pas. Et sur ce sujet, le kitsch est insupportable. L’adolescent, ses rapports avec sa famille, sont tout aussi ratés.

Résultat, Le liseur ne parvient à être ni une histoire d’amour non-conventionnelle ni un examen de conscience. La superficialité et le scénario défaillant sont cachés sous d’épaisses couches de sentimentalisme et d’esthétisme. La volonté de faire un blockbuster estampillé « grande œuvre » transpire à chaque plan.

Dans The Hours, le tandem Daldry-Hare nous a déjà servi ce plat : la vie de Virginia Woolf racontée par des Anglais, des vrais. Il semble que les deux larrons cinématographiques qui ont trouvé le sésame de la grotte d’Ali-Baba viennent de récidiver. Avec eux, la vulgarisation tourne au vulgaire, manifeste par exemple dans le fait que certains acteurs parlent la langue de Shakespeare avec l’accent de Goethe ou par le recours à Bruno Ganz pour interpréter le superficiel et pseudo-intellectuel professeur de droit. Il faut dire que la formule semble gagnante. Avec The Hours, Nicole Kidman a décroché l’Oscar pour le meilleur rôle féminin et Le Liseur a rendu le même fier service à Kate Winslet. Ou peut-être pas. Car l’héroïne de Titanic a été celle d’un véritable chef-d’œuvre, Les Noces rebelles (Revolutionary road), de Sam Mendes – malheureusement passé relativement inaperçu.

Au bout du compte, les auteurs de ce film nous poussent à donner l’absolution à une gardienne d’Auschwitz sans nous faire avancer d’un millimètre dans la compréhension de ce trou noir de l’Histoire occidentale. Juste pour les beaux yeux de Ralph Fiennes. Et ça, ça méritait bien un Oscar.

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Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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