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Quand les nostalgiques du franquisme sortent de leur retraite

Des anciens officiers militaires appellent à un quasi-pronunciamiento en Espagne


Quand les nostalgiques du franquisme sortent de leur retraite
Le roi Philippe lors de la cérémonie d'investiture du gouvernement, Madrid, 21 novembre 2023. Au second plan, le socialiste Pedro Sanchez © Chema Moya/EFE/SIPA

Un groupe d’officiers militaires à la retraite, nostalgiques du franquisme, a récemment publié un manifeste exigeant une action des forces armées pour destituer le président du Conseil, Pedro Sanchez. Leur principale critique porte sur l’accord d’amnistie négocié avec les indépendantistes catalans par le leader socialiste, et qui met en péril l’unité de l’Espagne, selon eux. 


Reconduit pour un troisième mandat, Pedro Sanchez hérite d’une Espagne profondément divisée. C’est un accord d’amnistie conclu avec les indépendantistes catalans, afin de former une nouvelle coalition de gauche (très fragile puisqu’elle ne repose que sur une majorité de trois voix à peine), qui a jeté le feu aux poudres.

Compromission

À la suite de l’appel du Parti Populaire (PP) et de Vox, les deux principaux mouvements de la droite conservatrice, des centaines de milliers d’Espagnols ont envahi les principales rues du pays quelques jours avant son élection à la tête du gouvernement et ont dénoncé un acte de trahison de la part du leader du parti socialiste (PSOE). Pis, en acceptant de laisser revenir les leaders catalans de leur exil, Pedro Sanchez a également empoisonné l’institution royale qui se retrouve sous le feu des critiques, accusée de mollesse et de compromission. C’est d’ailleurs l’air grave et le sourire très crispé que le roi Felipe VI a assisté à la prestation de serment de Pedro Sanchez comme Président du Conseil. Un monarque qui ne cache pas son animosité face aux indépendantistes catalans auxquels il avait reproché leur déloyauté lors de son traditionnel discours de Nouvel an,  après que ceux-ci aient tenté de proclamer l’indépendance de la Catalogne en 2017. 

C’est dans ce contexte tendu qu’une cinquantaine d’officiers militaires en retraite a publié un manifeste le 16 novembre, visible sur le site de l’Association des militaires espagnols (AME), appelant les forces armées à se soulever et destituer Pedro Sanchez dont les actions menaceraient l’unité du royaume. Pointant du doigt « l’absence de justice, d’égalité et de démocratie en Espagne », ils s’inquiètent du « diktat » que fait peser le gouvernement sur l’ensemble des instances judiciaires du pays, s’opposent à tout « pardon en faveur d’une minorité (…) qui effacerait les crimes commis par ceux qui ont défié la loi (…) ». Accusant Pedro Sanchez de ne pas assez protéger le royaume face à « l’afflux toujours important de migrants » et d’avoir affaibli l’armée par diverses mesures de restrictions, « préoccupés par l‘avenir de l’Espagne », ils ont justifié leur appel par l’article 8.1 de la Constitution qui concerne les forces armées, et qui stipule que leur mission est de « défendre l’ordre constitutionnel ».

Un pouvoir de nuisance mesuré par El País

L’Espagne va-t-elle renouer avec sa tradition historique de pronunciamientos et qui a fait sa réputation au cours du XIXe siècle ? C’est la question que l’on peut se poser. L’identité des signataires n’est pas précisée dans cette déclaration, mais le quotidien El País affirme que parmi eux se trouvent trois généraux de division, quatre généraux de brigade, 23 colonels, quatre lieutenants colonels, sept commandants et neuf capitaines. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’AME manifeste son irritation contre Pedro Sanchez et menace de faire sortir les tanks des casernes. Sans pour autant que l’on puisse connaître véritablement leur pouvoir de nuisance. 

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Les regards se tournent vers le Roi

En 2018, lorsque la coalition de gauche a décidé de faire exhumer anachroniquement les restes du Caudillo Franco de son mausolée où il repose depuis 1975, Pedro Sanchez avait déclenché les foudres des franquistes qui se réunissaient chaque année dans la Vallée de Los Caïdos afin de célébrer la mémoire du dictateur. L’AME avait publié une déclaration justifiant le putsch de juillet 1936 qui avait conduit le général Franco à prendre les armes et mettre un terme à la Seconde République trois ans plus tard au prix de centaines de milliers de victimes. En 2020, la divulgation de propos tenus sur un chat privé d’un groupe WhatsApp avait également révélé l’ampleur des velléités putschistes de ces officiers qui menaçaient de tirer sur « 26 millions de putes » – l’électorat de la gauche plurielle – fustigeant au passage les droits accordés aux minorités LGBT et la politique  féministe de l’exécutif. Un avertissement qui n’avait pas été suivi d’effets et pour lequel la justice n’avait pu trancher, mais qui avait été largement relayé par la presse qui n’ignore pas l’influence exercée par les héritiers du franquisme au sein des partis politiques. Notamment au sein de Vox dont le leader Santiago Abascal est un ami personnel du prince Louis-Alphonse de Bourbon, arrière-petit-fils du défunt généralissime, avec lequel il a de fréquentes réunions. Président d’honneur de la Fondation Franco, assumant publiquement l’héritage controversé du dictateur, ce chef de la Maison Bourbon en fait rêver plus d’un; certains l’introniseraient volontiers souverain d’Espagne à la place de son cousin le roi Félipe VI !

C’est désormais vers le monarque que tous les yeux sont tournés. Nul ne sait ce que sera son attitude en cas de vote d’une loi d’amnistie en faveur des indépendantistes catalans alors que la Constitution lui impose de signer les textes votés par les Cortès. Un refus de sa part serait inédit dans l’histoire de l’Espagne post-franquiste et déclencherait une crise politique qui menacerait à court terme la stabilité de l’institution royale et le symbole d’unité qu’elle représente. Il ne serait pas complétement insensé d’imaginer que l’armée serait alors tentée de sortir de sa neutralité afin de sauver le royaume de ses propres démons et d’organiser de nouvelles élections législatives, selon le souhait express de l’Association des militaires espagnols dans son dernier manifeste.




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Journaliste , conférencier et historien.

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