Ainsi, la veille de la marche d’unité nationale contre l’antisémitisme, le président, embourbé dans l’indécision – j’y va t’y, j’y va t’y pas ? – aurait chargé ses conseillers de prendre le pouls de la rue arabisante d’au-delà du périph’ afin qu’on l’aide à arrêter son choix. Il fallait bien recourir à une éminence de l’ombre, experte en ces matières, surtout extérieure au cabinet car au Palais on vole beaucoup trop haut pour en avoir la moindre perception. Il faudrait, si l’on consentait à corriger le manque, s’aventurer à emprunter un moyen de locomotion appelé métro, pousser la témérité jusqu’à aller au bout du bout de la ligne et retour, ne pas craindre donc la promiscuité de ceux qui ne sont rien, ni – puisque nous étions un vendredi soir – l’odeur des corps en fin de semaine de turbin.
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Le pétomane étant sans doute indisponible, on dut se rabattre sur un autre comique de classe, le dénommé Yassine Belattar dont personne n’aura oublié combien il fut désopilant dans son rôle de condamné pour menaces de mort. Quitte à s’imprégner de l’esprit qui règne dans les territoires perdus de la République, autant y aller à donf’, comme on dit à présent lorsqu’on veut briller à l’oral de l’ex-ENA. S’affranchir auprès d’un casier vierge, c’eût été passer à côté de tout un monde, risquer de n’entendre que des banalités de bon sens, du genre : « Manu, quand faut y aller, faut y aller ». Mais ce n’est pas, probablement, ce que souhaitait entendre le président à peuple multiple. Deux peuples, en fait si on a bien compris. Seulement deux ? Les Bretons, Occitans, Basques, Alsaciens et autres apprécieront. Faut-il leur conseiller de semer bien du bordel s’ils veulent un jour exister jusque dans ces hautes sphères ?
Georges Bensoussan, à qui nous devons justement le prophétique (et collectif) Les territoires perdus de la République a remis les pendules à l’heure ou, comme on dit plaisamment à présent, l’église au milieu du village. « Imagine-t-on le général de Gaulle prendre conseil auprès de Fernand Raynaud ? » a-t-il ironisé en substance chez Sonia Mabrouk. On ne peut mieux dire. Toutefois, et malgré l’immense respect et la très vive admiration que j’ai pour Georges Bensoussan, je me permettrai d’émettre, non pas un bémol, mais juste un petit commentaire de rien. À l’inverse de M. Belattar, Fernand Raynaud, lui, était drôle. Fernand Raynaud, lui, aimait la France. Il la connaissant intimement, charnellement, la France, pour l’avoir parcourue en tous sens sa (trop brève) vie durant, notamment dans ces longues années de galère.
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Au fond, il était à lui seul la France de ce temps-là. L’absurde du « 22 à Asnières » demeure un enchantement. Summum de la gloire populaire dans le vrai et noble sens du terme, ses répliques descendaient dans la rue, devenaient « culte », comme on ne disait pas alors. « Ca eut payé ! », « Tonton, pourquoi tu tousses ? », « Ne me parlez pas de Grenoble, que des Prétentieux », « Qui c’est ? C’est le plombier », « Bourreau d’enfants ». Et, bien évidemment, on se souvient du sketch du boulanger, l’immigrant précieux que l’intolérance et la bêtise villageoises poussent à partir, lui à qui pourtant on devait le pain chaque jour.
Soudain – on me pardonnera sûrement cet instant d’égarement – je me surprends à penser qu’une entrevue entre de Gaulle et ce gaillard-là n’aurait pas été si extravagante. De Gaulle avait – lui – la stature qui autorise ce genre de pas de côté. Et Fernand Raynaud assez d’intelligence vraie, de bon sens et de bon sang français pour ne pas faire tache.
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