Faire profession d’humoriste, est-ce bien sérieux ?
Ceux qui se félicitent d’avoir le sens de l’humour et qui placent cette qualité au zénith affirment assez souvent que je n’en ai pas. Il est vrai qu’à choisir, je suis plus sensible aux mots d’esprit qu’à l’humour artistique et médiatique d’aujourd’hui. J’admets volontiers que d’ailleurs je suis assez souvent hermétique à ce qui est considéré comme hilarant dans ces univers et que je cherche désespérément à rejoindre ces coteries parce que celles-ci, en s’esclaffant systématiquement, me donnent l’impression que j’ai manqué quelque chose. Puis je me rassure et j’en prends mon parti. Il est d’ailleurs intéressant de relever que le métier d’humoriste est devenu tellement fragile et incertain que la plupart de ceux qui en font profession semblent n’avoir qu’une envie : celle de montrer qu’ils sont capables d’être bien plus que des humoristes, par exemple des dénonciateurs, des analystes, des vigies, des procureurs, des ricaneurs, des exemples ou des consciences. Un peu comme ces chroniqueurs judiciaires qui n’aspirent qu’à se faire passer pour des juges ou des justiciers. Quand on est sur cette pente qui vous fait abandonner peu à peu l’art de faire rire pour vous poser en penseurs, il y a à l’évidence un malaise. On quitte un territoire fait pour vous, on en aborde un autre avec le risque d’un contre-emploi. Si l’humoriste n’est plus fier de ce qu’il offre à ceux qui viennent le voir, il déprime, tombe dans l’aigreur, s’abandonne à des comparaisons historiques douteuses, des banalisations odieuses du vocabulaire ou, pour avoir au moins une satisfaction, il rit le premier de ses plaisanteries. Je doute qu’il y ait aujourd’hui des humoristes heureux. Certes, parfois une personnalité paraît être inscrite si naturellement dans ce qu’elle profère, dans son ironie ou sa causticité, qu’elle révèle un équilibre qui fait du bien : je songe – c’est totalement subjectif – à Tanguy Pastureau ou à François-Xavier Demaison. Mais combien d’autres sont écartelés entre leur impossibilité de faire rire et leur désir d’être pris au sérieux ! Pas assez étincelants sur le premier plan, pas assez profonds pour le second !
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Une autre raison sans doute est plus fondamentale pour expliquer ce que la profession d’humoriste a de totalement artificiel. C’est que l’humour, l’esprit, sont partout et n’ont pas vocation à être encasernés. L’expérience de chacun démontre que rien n’est plus vain que de s’estimer dépositaire, par fonction, d’un élan de vie, d’une alacrité, d’une finesse, d’un jeu du langage, d’une culture, d’une verve paradoxale, sarcastique ou ironique qui, en réalité, sont répandus dans la société tout entière et procurent de merveilleuses surprises, dans la quotidienneté, à ceux qui en sont les témoins ou les partenaires. L’humour est une chose bien trop sérieuse pour être confiée aux humoristes brevetés, patentés.
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