À peine nommé, le gouvernement « de combat » de Manuel Valls déprime déjà à peu près tout le monde. À droite on se gausse de ce jeu de chaises musicales : « On prend les mêmes et on recommence ». Facile mais pas faux. L’opposition, qui vient de gagner les élections haut la main, a beau jeu d’accabler Hollande et son recyclage – certes pas très écolo – du gouvernement Ayraud. Mais chacun sait à droite que la dérouillée infligée au Président n’a rien d’une adhésion au programme inexistant de l’UMP.
Au PS, on souhaite bonne chance à Valls devant les caméras mais on flippe en coulisse. Chacun a peur pour son poste. La politique est un job précaire, une affaire de CDD. Et une nouvelle claque, sans doute violente, se profile aux Européennes. La gauche de la gauche éructe dans l’indifférence générale contre le choix de Valls « le réac ». Les écolos se drapent de vertu et quittent le navire avant le naufrage. Le FN recueille les électeurs paumés, déclassés issus de tous les horizons, qui s’imaginent que le retour au franc et le repli sur soi marquera le retour de la France prospère des années Pompidou, ce temps béni où l’on roulait en Renault 12, quand le rap et les cailleras en sweat à capuches n’existaient pas.
Le monde politique français est une fiction bas de gamme, un feuilleton superficiel qui intéresse de moins en moins les Français. L’abstention en est la preuve. Mais aussi l’audimat nanoscopique des émissions politiques, sans parler du tirage déclinant des journaux. Le feuilleton n’est dans l’ensemble qu’un spectacle soporifique et désespérant, plus proche de Derrick que de House of Cards, fait de petites phrases, de polémiques picrocholines montées en mayonnaise par les médias pour vendre qui du papier, qui des écrans publicitaires. Politiques et médias s’excitent pendant des semaines sur des dossiers aussi majeurs que le sort de Leonarda, le mariage pour tous, l’avenir de Florange ou les délires antisémites de Dieudonné… Nul ne peut dire que ce ne sont pas des sujets, et les médias sont dans leur rôle en les usant jusqu’à la corde avant de passer à autre chose. Pas les politiques. Dans un pays qui traverse une telle crise, le sens du devoir devrait les pousser à parler un langage de vérité aux Français.
Oui, Florange et autre Petroplus sont des canards boiteux qui vont mourir.
Oui, il faut adapter notre économie et investir dans les secteurs d’avenir : clusters numériques, biotechnologies, e-commerce, services, etc.
C’est la « destruction créatrice » conceptualisée par l’économiste Schumpeter. Une innovation chasse l’autre, et il est idiot de vouloir freiner le progrès. « On entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser : croire en l’économie de demain », pour reprendre le titre du livre porteur d’espoir de l’excellent Nicolas Bouzou.
Il est urgent de changer le logiciel utilisé en alternance par droite et gauche depuis trente ans. Le vieux clivage gauche/droite est aussi adapté à la situation qu’un Minitel pour surfer en 4G. On ne renouera pas avec la croissance en se contentant d’une politique d’austérité, d’un « pacte de responsabilité » cosmétique, ou en s’inclinant en permanence devant le principe de précaution. Le consensus mou, la navigation téléguidée par les sondages, nous mène droit vers un déclin à la grecque. L’État-providence joue sa survie, et la nôtre.
Le banquier de gauche Mathieu Pigasse ne dit pas autre chose dans son livre Éloge de l’anormalité, attaque transparente contre l’énarque « normal » au pouvoir. Il évoque Churchill, Roosevelt, de Gaulle : « Ces hommes-là ne sont pas issus de l’Ena ni des cabinets d’affaires. Leurs prises de pouvoir ne furent pas le fruit de manœuvres au sein de partis politiques essorés par les affaires. Ils avaient une haute idée de leur pays, de leurs principes, de l’intérêt général. Ils avaient surtout du courage, « première des vertus politiques » selon Hannah Arendt. Et leur courage ne consistait pas à flatter les peurs ou des clientèles ».
On a beau imaginer la liste des candidats aux Présidentielles de 2017, pas de trace à ce jour d’un politique providentiel, avec une vision, capable de réenchanter ce pays en parlant d’avenir. Personne pour incarner le grand réformateur courageux prêt à parier sur l’innovation.
À défaut de voir surgir ce nouveau Roosevelt dans le personnel politique traditionnel, on peut rêver que nos énarques enlèvent leurs ornières idéologiques et utilisent les talents de la société civile pour optimiser l’efficacité de l’Etat. Les acteurs du privé sont porteurs d’idées neuves pour construire la croissance de demain. Or ils sont en France sous-utilisés. Il n’y a pas un scientifique ou un ingénieur dans l’entourage de Hollande ! Barack Obama et le Président Chinois sont entourés des meilleurs spécialistes dans toutes les industries du futur. Chez nous, Gille Babinet, « Digital Champion » à Bruxelles, remue de l’air dans l’indifférence polie du Président. Le discret Pierre Kosciusko-Morizet, fondateur de Price Minister, a été avec son associé un des acteurs du mouvement des Pigeons pour protester contre le matraquage fiscal des entreprises. Un couac réparé depuis par le gouvernement, mais qui a terni l’image de la France chez les investisseurs étrangers. Pourquoi ne pas l’avoir consulté avant de sortir la matraque ? Le Dr Laurent Alexandre explique sur tous les plateaux télés depuis des années que les biotechnologies sont l’eldorado économique des décennies qui viennent, etc. Or l’Iran investit plus que nous le faisons dans les nanotechnologies. On pourrait multiplier les exemples pendant des pages… La numérisation galopante de l’économie est en marche, le transhumanisme à la sauce Silicon Valley va dominer le siècle, et nos dirigeants ne s’intéressent qu’au passé.
Le politique doit admettre qu’il n’a pas réponse à tout. Il a besoin de l’aide des spécialistes pour comprendre, à la manière des dirigeants de Google, d’Amazon, ou de Facebook, qu’il faut réfléchir à 30 ans, et pas à 3 mois. Peut-être y a-t-il plus à gagner à étudier la stratégie de Larry Page, le patron de Google, qu’à stigmatiser sans fin l’optimisation fiscale des géants du Net.
Nous ne sommes plus des acteurs du jeu économique mais les témoins passifs d’une révolution schumpeterienne qui renverse tout sur son passage. La nomination d’Arnaud Montebourg au numérique est une hérésie. Ne pouvait-on nommer un spécialiste pour préparer notre pays au tsunami disruptif qui rebat les cartes de modèles économiques qu’on pensait fondés pour l’éternité ? L’entrepreneur Liam Boogar le soulignait hier avec dérision : Arnaud Montebourg (qui a une formation d’avocat et n’a rien d’un « geek ») est celui qui a refusé l’alliance entre Yahoo et Dailymotion, une gigantesque bêtise qui prive la société française d’une dimension internationale et la condamne à moyen terme. Il est le visionnaire qui a déclaré a propos de Über, le service de VTC qui menace le monopole archaïque des taxis, « on ne peut pas laisser l’innovation tuer le système, le consommateur n’est pas le roi du monde ». Plus conservateur, technophobe et aveugle, tu meurs…
L’horizon indépassable de notre personnel politique est la prochaine échéance électorale. C’est tout le drame de la France. Ce gouvernement de « combat », court-termiste et déconnecté des réalités, semble bien mal armé pour faire mieux que les précédents. Roosevelt, reviens !
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