Le pays n’en finit plus de se diviser sur le séparatisme catalan. Le Premier ministre socialiste combine avec les indépendantistes pour conserver sa place à Madrid.
Oubliée, la crise espagnole de 2017 n’a jamais été véritablement clôturée. Je vais d’ailleurs vous partager un souvenir. Présent à Barcelone pour un reportage quelques mois après l’organisation du référendum séparatiste menée par la coalition indépendantiste Junts pel si (Ensemble pour le oui), une jeune femme appelée Rachel m’avait alors confié : « Je suis pour le séparatisme catalan parce que l’Espagne est une construction réactionnaire au service du capitalisme. La Catalogne et Barcelone peuvent justement être un rempart contre des gens comme Abascal, qui gouvernent d’autres pays. Regardez Salvini en Italie ! Je parie que Vox finira aussi à accéder au pouvoir. Et ce jour-là, j’espère que la Catalogne sera un pays résistant à la montée de la vague brune en Europe ». Elle ajoutait même, sans comprendre que j’étais médusé, que pour elle, Manuel Valls, qui espérait intégrer la vie politique locale, incarnait « l’extrême droite, comme le Parti Populaire et Ciudadanos », accusant les membres de Vox d’être quant à eux des « phalangistes habillés en jeunes de bonnes familles » appartenant à un « parti fasciste et raciste ».
Les plaies non cicatrisées du nationalisme catalan
Contrairement à la France, l’Espagne est un pays où subsiste encore un clivage droite / gauche chimiquement pur, comme si se rejouait sans cesse dans les cœurs des Ibères la terrible guerre civile de 1936. Les plaies toujours béantes n’ont en définitive jamais véritablement cicatrisé, opposant deux Espagne l’une à l’autre, sans compter les régionalismes particulièrement puissants qui secouent le pays depuis plusieurs décennies. L’ethno-nationalisme catalan n’était pourtant pas le plus vif dans les années 1970 et 1980, devancé par la violence terroriste basque de l’ETA. Patiemment, les Catalans ont su capitaliser sur les faiblesses de l’Etat décentralisé espagnol, bénéficiant des largesses et des faiblesses madrilènes, pour réclamer toujours plus de concessions et d’accommodements « raisonnables », imposant notamment l’usage exclusif de la langue catalane dans un grand nombre d’institutions publiques.
Junts pel Si n’était d’ailleurs pas un mouvement uniquement de gauche ou d’extrême gauche ; il réunissait aussi des partis politiques allant de la droite libérale à l’ultra-gauche marxiste dont l’unique objectif était de séparer la Catalogne de l’Espagne traditionnelle honnie, incarnant pour eux la pesanteur monarchique bourbonnienne, le vieux et sombre monde du franquisme, des conquistadors, d’Isabelle la Catholique, des mises à mort de toros dans les arènes andalouses rougies du sang de la bête comme les toiles de Velasquez et les arabesques guitaristiques d’Albeniz. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’au taureau, les Catalans préfèrent l’âne, animal têtu qui ne renonce pas. Carles Puigdemont, meneur des conjurés, a d’ailleurs un temps joué la partition habile de la rhétorique « décoloniale » et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
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Soutenus par des personnalités mondiales aussi diverses que Julian Assange, de nombreux partis eurosceptiques tels que l’UKIP de Nigel Farage ou encore Matteo Salvini à l’époque, sans oublier évidemment l’ensemble de l’extrême-gauche européenne qui voyait en eux les héritiers directs de la Seconde République espagnole, les continuateurs d’une œuvre émancipatrice, les séparatistes catalans ont opéré un authentique coup de force en organisant un référendum à l’inconstitutionnalité manifeste, rompant tous les engagements pris par les Espagnols, y compris les Catalans, lors de l’instauration de la Constitution de 1978, texte consensuel approuvé par référendum durant le processus de la Transition démocratique consécutif à la dissolution du régime anciennement dirigé par Franco.
Cette situation de guerre civile en gestation a même nécessité une intervention historique du roi Philippe VI qui a dû rappeler l’impératif de l’unité de la nation espagnole lors d’une allocution télévisée. Emblématique de cette période agitée, Carles Puigdemont a osé proclamer la sécession du territoire catalan, à la façon kosovare, sur la base du résultat du référendum interdit sur l’indépendance de la Catalogne. Il vit depuis à Bruxelles, poursuivi par la justice espagnole.
Pedro Sanchez réveille les fantômes pour se maintenir au pouvoir
Arrivé deuxième lors des élections législatives de juillet dernier, Pedro Sanchez a eu recours à un procédé inadmissible pour former une majorité et gagner le vote de confiance prévu ce jeudi 16 novembre. Ainsi, il fera passer une loi d’amnistie des indépendantistes catalans après avoir négocié un accord à Bruxelles avec les indépendantistes exilés, leur permettant de revenir en Espagne sans risquer de poursuites. Cela lui permettra donc de compter 179 sièges sur 176 pour obtenir une majorité parlementaire absolue avec le soutien des indépendantistes catalans et des nationalistes basques… Pis encore, Pedro Sanchez a accepté d’annuler 15 milliards d’euros de dette contractée par la Catalogne vis-à-vis de l’État après la crise financière de 2008 à la demande du parti de la Gauche républicaine de Catalogne, mais aussi d’encourager le retour des entreprises ayant déménagé leur siège social hors de la région en 2017, à l’image de la Caixa Bank, sur ordre d’Ensemble pour la Catalogne qui est le faux nez d’Ensemble pour le Oui à l’origine des évènements de l’année 2017.
Concentrant 16% de la population espagnole pour 20% du PIB, la Catalogne est un moteur industriel. Leur accorder une autonomie fiscale et financière, comme le veut Pedro Sanchez, réduira les ressources de l’État central et se fera au détriment des régions les plus pauvres, entrainant la création d’une Espagne à plusieurs vitesses. Drôle de politique de « gauche »… Tout cela courrouce fort logiquement une partie des Espagnols, singulièrement les conservateurs de droite, qui redoutent le retour de personnalités toujours désireuses de briser l’Espagne et de détruire la monarchie libérale sur laquelle s’est établie la concorde civile après le régime franquiste.
Ils ont manifesté dans plus de 52 villes, par centaines de milliers, réunis sous le drapeau sang et or espagnol. Considérée comme une forfaiture, l’opposition à la loi d’amnistie générale fait l’unanimité à droite. Une personnalité comme Santiago Abascal, président de Vox a indiqué devant le siège du Parti socialiste à Madrid : « Nous avons le devoir de résister à un gouvernement et à un tyran qui va obtenir son investiture grâce à tous les ennemis de l’Espagne. » Le tout est d’ailleurs intervenu après un attentat ayant visé d’une balle dans la tête Alejo Vidal-Quadras, l’un des fondateurs de Vox. L’Espagne est au bord du précipice…
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