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«Une sorte de nazi»: France Inter et l’hiver de l’humour

Après la polémique, Guillaume Meurice entend continuer à « titiller les interdits »


«Une sorte de nazi»: France Inter et l’hiver de l’humour
Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice, 12 novembre 2023. D.R.

À France inter, la blague à connotation raciste de Guillaume Meurice sur le Premier ministre israélien ne lui a valu qu’un « avertissement ». Hier soir, on s’attendait à une explication pour son retour derrière le micro. Il n’en a rien été.


À la faveur d’une actualité sanglante, un soi-disant « humoriste » de France Inter s’est flatté, dimanche 29 octobre, de faire passer Benjamin Netanyahou pour « une sorte de nazi sans prépuce ». Au mépris des victimes du massacre du 7 octobre et de ses dramatiques conséquences de part et d’autre ; accessoirement, au mépris des commentateurs qui, quoique d’opinions divergentes, s’efforcent de peser leurs mots.

Les curieuses explications de Charline

Au bout d’une semaine, Guillaume Meurice s’est vu notifier par la présidence de Radio France un avertissement, lequel sanctionne non pas tant le propos que son refus de le regretter. Il a annoncé qu’il le contesterait en justice. Ce qu’il ne fera pas, sauf à vouloir se renverser le vase de nuit sur la tête. Pour sa défense, Meurice s’est réclamé de « l’esprit Charlie ». Sans toucher le bénéfice escompté. Le rédacteur en chef de Charlie-Hebdo a rétorqué que « l’esprit Charlie n’est pas une poubelle qu’on sort pour y jeter ses cochonneries ».

On s’attendait à une explication pendant l’émission du dimanche 12 novembre. Il n’en a rien été. Son animatrice, Charline Vanhoenacker, commence par déplorer les intimidations et menaces de mort visant leurs personnes et la liberté d’expression. Puis, elle reconnaît le trouble qu’a provoqué le propos chez ses coéquipiers. Certains ont été blessés ou choqués, d’autres ont ri, d’autres encore ont regretté d’avoir ri. Tous ont réfléchi. Tant et si bien, dit-elle, que « nous avons surmonté nos divergences ». Mais pour en conclure quoi ? On aurait voulu savoir, on ne le saura pas !

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Écouter cette émission d’une heure trente en direct, sans public « pour des raisons de sécurité », est un supplice. Atmosphère de cirque, chroniques niaiseuses, rires, tapages et applaudissements forcés : tout est simulacre. Quand c’est au tour de Meurice de prendre la parole, on s’efforce de tendre l’oreille. Celui-ci fait sentir qu’il jouit de la sympathie des uns, ces auditeurs qui lui apportent leur soutien, et qu’il attise la haine des autres qui lui souhaitent de « crever ».

Ce n’est pas l’auteur du propos sujet à polémique qui s’exprime, mais à l’en croire sa première et plus apitoyante victime : Meurice en personne.

À l’occasion de son tour de passe-passe, aussi convenu dans cette atmosphère de cirque qu’un numéro de prestidigitation, il en rajoute une louche. « J’ai conscience d’avoir choqué, dit-il, en comparant un fasciste à un nazi. » En studio, personne ne lui rappelle qu’il a comparé un Juif à un nazi.

Tant qu’à se dérober, autant faire porter le chapeau à d’autres, en l’occurrence ses « bons Juifs » à lui. Politiquement des siens. C’est ainsi qu’il tend le micro au représentant d’un obscur « collectif » nommé Tsedeck, à peine cinq mois d’existence, qui entend lutter contre « le racisme d’État en France » et militer « pour la fin de l’apartheid et de l’occupation en Israël-Palestine ». Ce propos enregistré occupe les deux tiers de sa chronique ; Meurice ne pouvait se défiler plus prestement. 

Il reste à examiner l’étron dont Meurice nie la puanteur. Et son contexte.

Cet incident « de trop » met en cause la conduite d’une radio publique qui prétend au beurre, une information équilibrée, en même temps qu’à l’argent du beurre, le gain d’audience tiré de sa « fabrique de l’humour ».  

Ainsi, c’est sur le boulevard ouvert par le Grand Journal de Canal Plus, modèle de raillerie et d’entre-soi, que la radio publique a lancé sa politique d’info-divertissement. Au motif, expliquait sa directrice, Laurence Bloch, que pour livrer « la chronique d’une époque », il était « indispensable d’avoir une bande d’yeux et d’oreilles très acérés ». Têtes d’affiche : Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice. « Inter est une chaîne qui porte des valeurs progressistes, ajoutait Laurence Bloch (…) qui porte attention à l’autre. » (Propos rapportés par Sandrine Blanchard, Le Monde, 8 janvier 2018). 

Mortelle Adèle

Lasse de l’empire de ses bouffons, la station s’est ressaisie à la rentrée. À l’initiative de sa nouvelle directrice, Adèle Van Reeth, la grille a été remodelée. Priée de renoncer à sa quotidienne, Charline Vanhoenacker a dû se replier sur une émission hebdomadaire, le dimanche de 18h à 20h. À ses côtés, Guillaume Meurice. Interrogé (France-Inter, 19 décembre 2019) par ses collègues sur sa méthode de travail, Meurice se défendait de « taper » sur qui que ce soit. On cible, disait-il, « les failles de raisonnement et de logique dans le discours, mais pas les gens ». On ne voit pas sur quelle « faille de raisonnement » il a choisi de taper en représentant Netanyahou en « une sorte de nazi sans prépuce ».

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Que signifie l’image ? Qu’en somme, Netanyahou est le monstre des monstres : à la fois « une sorte » de Juif qui, accusé d’imiter les nazis, trahit les Juifs, et « une sorte » de nazi qui, étant circoncis, tromperait les nazis.

Ce n’est pas tant le mot « prépuce » que la préposition « sans » qui mérite examen. Meurice aurait pu dire : « une sorte de nazi circoncis ». Non, il a voulu être concret, clinique : « sans prépuce ». Pour indiquer un manque. Et laisser s’ouvrir l’abîme d’une confusion dont l’antisémite le moins éveillé ferait son miel. Corrélée à « nazi », la formule « sans prépuce » est pétrie dans la pâte de l’image-choc.

   1. Meurice s’acharne à une heure critique de l’histoire d’Israël sur un homme qui, contesté par ses compatriotes, n’en demeure pas moins en première ligne en tant que chef d’un gouvernement, hétéroclite et défaillant, mais issu d’un scrutin régulier.

   2. Il n’hésite pas se comporter comme n’importe quel « sniper » des cloaques sociaux en usant de la position qu’il occupe à France Inter. Indirectement mais spectaculairement, il jette le déshonneur sur « la première radio d’actualité généraliste et culturelle ».

   3. Il n’a pas idée de l’origine et de la valeur de la circoncision chez les Juifs. À la suite d’une parole tombée du ciel, elle est depuis le temps d’Abraham le signe de l’Alliance qu’ont acceptée les Hébreux et que, par délégation, chaque génération de parents transmet à ses enfants. C’est un témoignage de gratitude et, par-dessus tout, le sceau d’une relation de confiance qui ne peut être à la portée de « l’hommerie » que par une certaine connivence avec le symbolique.

Ce rappel excitera la raillerie de Meurice. Vrai pitre, faux humoriste.

La différence entre le Messie et le plombier, dit une blague juive, c’est que le Messie, on est sûr qu’il viendra un jour. La différence entre le Meurice d’avant et le Meurice d’après, c’est que, s’agissant de celui-ci, on aurait voulu être sûr qu’il ne reviendra pas.

Hélas, il est venu, il vient, il reviendra. Car voilà une dizaine d’années que Meurice s’est alloué les pleins pouvoirs dus à l’humoriste, et le privilège d’immunité qui va avec, comme Napoléon s’était autocouronné empereur. On peut bien discuter la validité d’une information. En revanche, l’humoriste nous interdit de contester son commentaire. Il va de soi qu’il personnifie la liberté d’expression. Ce serait le stigmatiser. Par la faute d’un contradicteur qui, lui ayant fait l’offense de ne pas rire, ne peut être qu’un imprécateur d’extrême-droite comparable à un nazi.

Dans ces conditions, on se demande où, c’est là son antienne favorite, Charline Vanhoenacker trouve le culot, aujourd’hui encore, d’associer sa conception de l’humour à « une prise de risque » quand le plus grand risque à courir est d’écoper d’un cruel « avertissement ».



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Journaliste (Le Matin de Paris, Enjeux les Échos, L’Esprit libre, Le Nouvel Économiste), il a présente le 18-20 sur Radio Notre-Dame (100.7).

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