En avril, ne te découvre pas d’un fil d’écouteur


En avril, ne te découvre pas d’un fil d’écouteur

 

Souriez, vous êtes filmés, écoutés, traqués ! Selon que vous soyez « puissant » plutôt que misérable, il arrive même que vos conversations téléphoniques soient jetées en pâture dans la presse. Nicolas Sarkozy en a récemment fait les frais dans les colonnes de Mediapart, véritable web-gazette du Palais qui l’a condamné d’office pour financement occulte avant d’avancer le moindre début de preuve. « Micros partout, justice nulle part ! », annonce notre « une » inspirée par les affaires Buisson et Sarkozy, où hommes politiques, juges et journalistes peu scrupuleux règlent leurs comptes par médias interposés. D’emblée, Elisabeth Lévy donne le ton : « la technologie met l’espionnage à la portée de tous » et dénonce l’alliance tacite entre juges et médias ivres de pouvoir – encouragés par quelques doctrinaires de gauche assez audacieux pour décréter que « quand on n’a rien à cacher, il n’y a pas de problème à être écouté ».

Interrogé par notre directrice de la rédaction, l’avocat Eric Dupond-Moretti fustige ces magistrats qui prennent leur irresponsabilité pour de l’indépendance et instruisent à seule fin de discréditer les cibles qu’ils se sont choisies. Il flaire même un petit parfum de délit politique dans les écoutes diligentées contre l’ancien président de la République, sans fondement légal solide. Ancien ministre et éminence grise de Nicolas Sarkozy, Gérard Longuet déplore de surcroît l’érosion de la sphère privée et du secret, cette grande conquête démocratique menacée que technique et culte de la transparence dépècent bout après bout. Que nenni, en Etat de droit, la justice suit son libre cours sans que l’on puisse parler d’acharnement judiciaire contre un homme : l’ancien chef de l’Etat est un justiciable comme les autres, nous avertit Philippe Bilger, pourtant peu avare de critiques contre Christiane Taubira.

Tout bien pesés, ces scandales sont l’arbre qui cache la forêt de notre intimité violée. Nul besoin du mandat d’un juge pour étaler sa vie privée sur Facebook, sorte de Stasi librement consentie qui nous ferait presque regretter la bonne vieille agence de renseignements est-allemande, aux méthodes si désuètes. La Stasi, la vraie, fut mise en branle par l’indéboulonnable Erich Mielke de 1957 à 1989, nous rappelle Laurent Cantamessi en établissant un parallèle peu rassurant entre l’espionnage vintage et l’actuel grand déballage virtuel. La Toile est un tel nid de serpents que certains, malmenés par  Google, soignent leur « e-reputation » en dépêchant une petite entreprise de nettoyage virtuel. Eh oui, il existe des « principes d’hygiène numérique », apprend-on au fil du reportage de Paulina Dalmayer dans les locaux de la start-up Reputation squad.

Avec profondeur et solennité, Alain Finkielkraut ouvre notre rubrique actualités par un beau texte sur le nouvel antisémitisme, deux ans après les meurtres de Mohamed Merah. Hélas, la mort de l’assassin de Toulouse n’a pas tari le flot des jihadistes français, comme le confirme le juge antiterroriste Trévidic à Antoine Menusier. La cause syrienne leur offre même un terrain de jeu rêvé, alimentée par une propagande salafiste qui a pignon sur web.

Cap à l’Est. Quelque part entre l’Ukraine et la Russie, se joue peut-être le destin de l’Europe et de l’alliance atlantique. Après le rattachement de la Crimée à la Russie, réclamée par referendum par une écrasante majorité par la population locale, Jean-François Colosimo nous gratifie d’un salutaire rappel historique et géopolitique. Loin des analyses psychologisantes, JFC ramène l’histoire et la géographie à leur ultima ratio : les intérêts des Etats, en l’occurrence, ceux d’une puissance russe revenue de ses cendres qui entend briser la gangue otanienne que l’Occident voulait lui imposer. Nostalgique de l’Union soviétique, l’écrivain Zakhar Prilepine – dont je ne saurais trop vous recommander la lecture – approuve la politique étrangère d’un Vladimir Poutine qu’il juge trop libéral sur le plan économique. En national-bolchévique revendiqué, il attend le tournant social du Kremlin pour lui donner quitus. Jean-Michel Quatrepoint complète ce triptyque russe en mettant au jour les dessous énergétiques de la crise ukrainienne, influencée par la  guerre froide que se livrent Russie et  Etats-Unis pour approvisionner une Allemagne ayant tourné le dos au nucléaire.

Au cœur de la vieille Europe, Cyril Bennasar, notre « ours bipolaire », nous fait partager les sentiments antagoniques qu’il éprouve face au triste spectacle des plans sociaux de La Redoute et Florange. Face aux cabossés de la vie, l’homme de droite se (sur)prend soudain à douter : « Et si le jeu libéral ne valait pas la chandelle qui veille la mort de la classe ouvrière française et européenne ? » Une sentence que ne renierait pas Phillip Blond, l’intellectuel organique des Tories britanniques, interrogé par Eugénie Bastié. Le concepteur du nouveau conservatisme outre-Manche, détaille les contours de la « Big society » qu’il a théorisée pour le compte du Premier ministre David Cameron. Loin des vieilles lunes thatchériennes, Blond défend les instances de solidarité traditionnelles que sont la famille, le voisinage ou la nation contre le tout-Etat et le tout-marché. L’UMP serait bien avisée d’en prendre de la graine, d’autant plus que Valls, soucieux de regagner certains pans de l’électorat populaire, pourrait lui aussi en faire son beurre…

L’heure du bouillon de culture a sonné. Dans le sillage du phénomène 12 years a slave, Gil Mihaely décrypte la réalité de l’esclavage nichée derrière la fiction. Le film multi-oscarisé s’inspire des mémoires d’un esclave nord-américain de la fin du XIXe siècle, comme l’essentiel d’une production culturelle qui ignore la complexité des longues traites négrières – et plus largement celle de trois millénaires d’esclavage. Nettement plus printanier, mais tout aussi polémique, le périple de Nastia Houdiakova au Plessis-Robinson nous montre qu’une autre architecture périurbaine est possible. Un urbanisme régressif pour ses détracteurs modernistes, mais qui semble ravir ses habitants. Bizarre, bizarre…

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, ce petit inventaire à la Prévert s’achève par le rappel de nos petites pépites récurrentes. En sus de la chronique endeuillée de Roland Jaccard, les journaux de Basile de Koch (décidément mégafan de Didier Super !) et d’Alain Finkielkraut vous mettront en appétit… avant de déguster l’éditorial d’Elisabeth Lévy revenant sur la percée frontiste aux municipales.

Bon allez, assez name-droppé, je pars siester !

Causeur 12 - avril 2014NOUVEAU : TÉLÉCHARGEZ GRATUITEMENT L’APPLI CAUSEUR LE MENSUEL ET LISEZ VOTRE MAGAZINE SUR TABLETTE ET MOBILE (ACHAT AU NUMÉRO ET ACCÈS ABONNÉS NUMÉRIQUES)

     



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