Robert Redeker déplore L’abolition de l’âme dans notre culture et notre quotidien. Son nouvel essai appelle à plus de spiritualité pour résister au conformisme contemporain.
Jusqu’à Descartes, l’âme se nommait psyché. L’étude cartésienne a distingué l’âme de la pensée, et inscrit un dualisme entre le corps et l’esprit. Ce qui était « souffle de vie » a peu à peu disparu pour laisser place au sujet, puis au moi, puis à l’égo qui nous a mené tout droit au narcissisme généralisé que Robert Redeker appelle « la tyrannie de la subjectivité ». Une subjectivité parfaitement compatible avec le conformisme.
« Nous appelons conformisme cette illusion de la singularité au sein du clonage généralisé. » C’est ce qui fait que « le conformisme a remplacé la normalité », estime le philosophe qui nous offre une autre compréhension de ce mot : « La norme n’est pas la moyenne. Il est fréquent que la moyenne navigue très à l’écart de la norme. Si vous prenez la sainteté, comme dans l’église catholique ou, comme dans l’Armée, l’héroïsme, le membre moyen de ces institutions se situera fort loin de la norme. » Et d’ajouter : « S’il est difficile d’être normal, il est facile, presque automatique, véritablement de tout repos, d’être conformiste. »
Et quoi de plus conformiste de nos jours que de taper sur l’Église et de rabaisser l’École ! L’auteur remet donc ces institutions au centre du village, car c’est autant le soin apporté à l’âme qu’à l’enseignement qui nous permet de grandir et de tenir debout. Redeker donne l’exemple de Socrate : à la fois homme de l’âme et homme de la cité ; l’un ne pouvant aller sans l’autre.
Si l’École est ce qui structure le sujet, le « pneuma » ou « souffle de vie » anime l’être humain d’une force spirituelle qui ne vient pas de lui. Le philosophe catholique estime que l’un des effets de la « dépneumatisation » généralisée est « le remplacement de l’âme par le mental ; force mécanique, psychisme matérialisé et solidifié dans du physique, aussi compact qu’un bloc métallique. »
Au « souffle de vie » insufflé par Dieu dans les narines d’Adam pour en faire un être vivant s’est substituée « une volonté de fer », dont le sport est devenu le paradigme. Par ailleurs, « la domestication de l’intelligence » a permis à l’utilité de supplanter la finalité. L’École, encore elle, en est un exemple frappant, qui a oublié que sa « gratuité » n’est pas que financière mais intrinsèque ; c’est-à-dire que la connaissance s’y révèle comme une fin en soi et ne peut être réduite à des compétences en vue d’objectifs professionnels ou commerciaux. « Gratuit, nous indique Aristote, sera ce qui est à soi-même sa fin. »
Robert Redeker nous rappelle ainsi que l’homme, à la différence de l’animal, ne respire pas seulement avec ses poumons mais aussi avec ses forces spirituelles.
L’abolition de l’âme, de Robert Redeker, Éditions du Cerf, 2023.
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