Cela commence par la Tempête— on est surpris !— et se termine par un tango. Cela va de Daquin, Rameau à Chopin et Debussy en passant par Bach sans oublier Nino Rota ou Michel Legrand. C’est joyeux et grave, intelligent, spirituel, riche d’harmoniques. On rêve, on rit, on est ému, on réfléchit. On savoure, on se souvient. On est en pays connu et inconnu. À la Cour et dans les forêts, au bord de l’eau et dans des arbres, dans une alcôve et chez les dieux. Un croquant et un chien et un loup, deux coqs, une tortue et un lièvre, un mari jaloux, une femme, tout ce monde parle le même langage. Les vers vous viennent à la bouche. On est heureux de cette « gaité » si particulière à ce monde enchanteur et cruel. C’est La Fontaine en fables et en notes. C’est dit par Brigitte Fossey, et joué au piano par Danielle Laval. C’est au théâtre de Poche jusqu’en fin décembre.
Véritable Orphée qui « transforme les arbres et les plantes en créatures parlantes », La Fontaine aimait tous les arts : la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture, les jardins, l’opéra auxquels il a consacré des livrets. Il a été maintes fois illustré par des gravures. Quoi de plus naturel que de le mettre en notes ? La musique n’est pas là pour meubler le silence entre deux fables : elle est un monde auquel le texte entre en résonance, car les notes et les mots — surtout la prosodie de la Fontaine— sont des écritures capables de tisser entre elles des correspondances poétiques, souvent inattendues.
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Brigitte Fossey fait depuis des années des concerts / lectures d’une grande qualité. Aimant passionnément notre langue et la littérature, elle fait vivre, dans ce petit théâtre, l’univers de La Fontaine, sans jamais céder au cabotinage ou à l’effet. D’un pas vif sur la scène, d’une diction parfaite, elle ne rate aucun pied dans l’alexandrin, rendant parfois délicatement un e muet ! À cela, elle joint un incontestable don comique que l’on perçoit, par exemple, dans Le paon se plaignant à Junon ou dans Les deux coqs. Quant à Danielle Laval, pianiste mondialement connue, et créatrice, aux côtés de Brigitte Fossey, de spectacles,— Gourmandises, Mozart et sa Correspondance, La Vie de Rachmaninov et les Lettres de Mendelssohon— elle traduit à merveille cette « comédie à cent actes divers » que sont les fables.
Un air vivifiant, un air de liberté passe dans l’univers des fables unissant la simplicité populaire à la haute culture. Et quelle fantaisie ! Car, enfin, a-t-on jamais vu un rat délivrant un lion des rets où il était pris, ou une colombe « usant de charité » envers une fourmi ? Il n’y a qu’un poète pour inventer cela ! Avec un petit Scarlatti qui vous fouette, c’est délicieux. Sans oublier des histoires tout à fait folles, délicieusement misogynes, comme Le Mari, la Femme et le Voleur. Ou encore Les femmes et le secret ! Notre police des mœurs ferait bien d’ailleurs d’aller y regarder de plus près.
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Je termine sur deux perles d’une eau parfaite. Les deux pigeons, cela fait fondre. « Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre… » La Fontaine a 65 ans quand il écrit cette fable… « Ai-je passé le temps d’aimer ? » Qu’il est émouvant d’entendre résonner cette confidence après des siècles ! La deuxième perle est Le Héron : chef-d’œuvre absolu de dessin, de poésie, et de peinture d’un caractère. A-t-on entendu musique plus transparente que ces vers : « Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où / Le héron au long bec emmanché d’un long cou… L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours »
Au début du spectacle, le poète, debout devant son pupitre, écrit son livre, nous rappelant que les Fables est un texte écrit qui a donné lieu à de nombreuses éditions. La mise en scène de Stéphanie Tesson et de Marie Adam enchaîne les tableaux, d’une manière fluide, sur un tempo vif, avec élégance. Alors, courez vite au Poche avec vos enfants ! Dire les fables de La Fontaine et l’écouter en notes, le faire vivre et l’entendre, c’est, de nos jours, un pur bonheur.
Tous les lundis à 19 heures. Détails et réservation en ligne. Tél. 01 45 44 50 21.
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