Dans Le Consentement, l’adaptation cinématographique du livre de Vanessa Springora, Jean-Paul Rouve campe un grossier prédateur sexuel à mi-chemin entre Nosferatu et Hannibal Lecter. Rouve n’a rien compris à Matzneff et il en est fier. Un ratage exemplaire!
Regarder la bande-annonce du filmLe Consentement et écouter l’acteur Jean-Paul Rouve– qui y joue le rôle de Gabriel Matzneff – en faire la promotion sur les plateaux télévisés suffisent pour comprendre le ratage total de cette adaptation du livre de Vanessa Springora sans même l’avoir vu. « Un journaliste m’a dit :“Moi je connais bien Matzneff. Vous savez, c’est plus compliqué que ça.” » Bah non ! C’est pas plus compliqué que ça. C’est très simple même. C’est un homme de 50 ans avec une gamine de 14 ans. » Voilà ce qu’explique l’acteur des Tuche dans l’émission « C à vous ». Mais alors, si ce n’est pas plus compliqué que ça, à quoi bon en faire un film ? À quoi bon y consacrer tant d’énergie et de temps ? La messe est dite. La caricature simpliste est annoncée. Rouve s’y travestit en vieux monsieur très laid, libidineux, reptilien, repoussant, effrayant. Un pédo-Nosferatu maléfique en phase terminale de cancer. Mais Matzneff, au moment des faits, ce n’est pas ça. Matzneff au milieu des années 1980, c’est un homme élégant, séduisant et paraissant avoir une quarantaine d’années. Rouve en paraît 70 ! Cependant, le comédien a l’honnêteté d’avouer sans complexe son échec. Il confesse fièrement ne pas avoir réussi à comprendre le personnage de l’écrivain sulfureux. « Comme je n’arrivais pas à l’incarner comme un parfum de l’intérieur, comme on fait quand on joue, enfin on essaye… j’ai fait ce qu’on ne fait jamais. Je suis passé par l’extérieur. Je suis passé par l’enveloppe. Donc j’ai fait un peu comme il faisait lui. Lui, il s’adore, il pense qu’à lui, il se regarde tout le temps. Il nageait beaucoup, donc je suis allé nager. J’ai fait des UV. J’ai fait des manucures. J’ai fait des trucs comme ça. Donc je me suis dit, je vais essayer de le comprendre un peu comme ça. Mais j’ai rien compris. » Voilà ce qu’il nous explique crânement, le célèbre comédien. Qu’il n’a pas réussi. Malgré la manucure ! Bien essayé Jean-Paul, dommage. Pour définir le personnage, il ajoute : « C’est le mal absolu. C’est un monstre terrible. » Matzneff, le mal absolu ? Et Michel Fourniret, Mohammed Merah, Staline, Klaus Barbie… à quel niveau de mal se trouvent-ils sur l’échelle de Rouve ? Pour travailler le rôle, il dit avoir pensé à Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux. Un tueur en série qui mange ses victimes !
Un acteur n’est pas un père la morale
Bon. Prenons un acteur, un vrai, un grand : Bruno Ganz ! Lorsqu’il incarnait Hitler dans La Chute, on ne l’a pas vu jouer la caricature du mal. Non ! Au contraire ! Ganz se disait d’ailleurs amusé d’entendre certaines personnes lui reprocher d’avoir « humanisé » le dictateur. « Les gens ont besoin d’avoir une icône intacte du mal lui-même.[…] Mais je ne sais pas ce qu’est vraiment le mal », expliquait l’acteur suisse. Quand les journalistes lui demandaient s’il avait abordé et travaillé le rôle en se persuadant qu’il était humain, il répondait :« Bien sûr qu’il l’est. Qu’est-ce qu’il pourrait être d’autre ? » Pour s’emparer du personnage, il avait en partie travaillé sur les failles du dictateur, sur l’absence d’amour qu’il avait reçu de sa mère, sur son côté artiste raté. Voilà ce qu’est un acteur ! Un homme qui travaille sur l’être humain, sur ses nuances, sur ses contrastes. Un acteur n’est pas un juge ! Ce n’est pas un père la morale. Et je ne compare pas ici Matzneff à Hitler ! J’ai le sens de la mesure, moi. Ganz avait assumé sa lourde responsabilité d’acteur en endossant le rôle d’Hitler avec toute sa complexité, et toute son humanité (humain n’est pas synonyme de bon !). Rouve n’en a probablement ni les moyens ni le courage… ni même l’intelligence nécessaire. Ganz avait essuyé une pluie de critiques pour avoir fait d’Hitler ce qu’il était : un homme. On criait au scandale. Son interprétation magistrale et troublante aura cependant marqué l’histoire du cinéma.
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Mais laissons ce petit joueur d’Adolf de côté. Revenons-en au vrai mal, au mal absolu, total : Gabriel Matzneff. Jean-Paul Rouve explique que l’écrivain, en plus d’être un monstre, s’est servi de toutes ses horreurs pour faire « ses écrits, qui au final sont médiocres ». Que l’on ne considère pas Matzneff comme un grand écrivain, cela peut s’entendre. Mais venant de Jean-Paul Rouve, qui a joué au théâtre les textes de ses chansons préférées dont fait partie « Il jouait du piano debout »… on se dit que, là encore, comme pour son échelle du mal, il y a un petit problème de valeur. Lors de la promotion de ce spectacle, qu’il donnait au Théâtre Antoine, il avait justement évoqué cette chanson, dans l’émission « C à vous ». « C’est beau ce qui est dit ! Un moment il dit :“Essaie d’être heureux, ça vaut le coup.” Il dit ça dans le texte. Les textes de Michel Berger sont quand même formidables », expliquait l’artiste féru de grande littérature.
Fier de ne pas avoir compris Matzneff
Allez ! Je parle, je parle, mais il faut quand même que je voie ce film. Je file au cinéma. Mauvaise nouvelle, il dure tout de même une heure et cinquante-huit minutes. J’achète mon billet, je m’installe. Au bout d’une heure et quart, je ressors. Et je ne suis pas le premier. Rouve avait vendu le machin avec honnêteté : « C’est pas plus compliqué que ça. C’est très simple même. C’est un homme de 50 ans avec une gamine de 14 ans. » Ce n’est effectivement pas plus compliqué que ça. Les dix premières minutes auraient donc largement suffi à nous faire passer le message. Pourquoi un long-métrage ? Rouve disait encore vrai en affirmant ne rien comprendre au personnage. Il ne joue d’ailleurs pas grand-chose. On dirait un beauf essayant d’imiter, de caricaturer avec mépris un intellectuel. Rouve barbouille à la truelle un Matzneff inhumain, incompréhensible, vide, en y ajoutant du noir. Du noir encore et encore. Rouve ne joue – ou plutôt ne surjoue – qu’une seule et unique chose : le dégoût qu’il éprouve pour Matzneff, mettant ainsi en scène sa propre vertu de carton-pâte. C’est Rouve le personnage principal du film. Ce n’est pas Matzneff, ni même Springora. C’est Rouve ! Rouve le Vertueux. Il avait bien raison de nous prévenir qu’il n’avait pas réussi à atteindre le rôle. Enfin… pas réussi, mon œil ! C’est plutôt qu’il ne le voulait pas. Ce film était pour lui une trop bonne occasion de nous montrer comme il est bon. Comme il est bien. Pour lui, c’est une fierté de n’avoir pas réussi à comprendre Matzneff. C’est la preuve que lui, Rouve, n’est pas un être obscur, qu’il n’est pas un monstre, pas un pédophile. Son impossibilité à entrer dans le personnage, à le comprendre, il l’arbore comme une décoration à sa boutonnière. C’est sa Légion d’honneur. Mais, même mauvais, Rouve reste un acteur. Un menteur. Il joue un personnage. Il imite, il simule, il fabrique. Même son dégoût pour Matzneff, il le joue. Mal, grossièrement, sans finesse, mais il le joue. Et moi, devant ce film, ce n’est pas Matzneff qui me dégoûte. Matzneff est absent. On ne le voit pas. Celui qui me dégoûte, c’est cet affreux Rouve gonflé de sa fausse, opportuniste et dégoulinante bonté d’âme. Il veut à tout prix nous montrer que c’est lui qui a la plus grosse. Comme il est vulgaire. Comme il est obscène. Signalons aussi toutes ces scènes de sexe interminables ! Ces scènes de sodomie qui dure, de langues sucées lentement, de fellations sans fin. De la pornographie ! Savent-ils qu’ils ont dû exciter beaucoup de vieux messieurs dans les salles obscures ? Des messieurs qui n’avaient même peut-être jamais pensé à cela avant ! Tu m’étonnes que Rouve ait l’air un peu gêné sur les plateaux télé lorsqu’il parle du tournage et qu’il explique avoir eu la sensation d’être « couvert de boue » le soir, après le travail. Couvert de boue dans sa tête, mais couvert de salive dans les faits. Il semble avoir un peu de mal à assumer. Et comment ! Être payé une fortune pour caresser les seins d’une fille de trente ans de moins que lui et lécher sa langue pendant des heures et des heures… lui, l’acteur star de 56 ans, elle, la jeune débutante de 22 ans. Est-ce bien moral d’ailleurs cela ? Je ne sais plus, je m’y perds. Peut-être un jour regrettera-t-elle de s’être laissé tripoter par le sosie raté et répugnant de Gabriel Matzneff dans le but de vouloir lancer sa carrière. Le regret serait bien compréhensible. Beurk ! Avoir à lécher la langue de Jean-Paul Rouve, quel dégoût. Bon… là, je commence à m’emporter. Je vais donc m’arrêter ici. Je ne veux pas à mon tour mettre en scène ma propre vertu en me servant de ce pauvre acteur raté à succès. Et si un jour, au cinéma, on me confie la tâche de jouer le rôle de Jean-Paul Rouve, je promets que je saurai trouver en lui, quelque part, une lueur d’humanité à jouer. « Jean-Paul Rouve un être humain ? »me demanderont certains. Oui, un être humain ! Que pourrait-il être d’autre qu’un être humain ? Qu’un misérable être humain ? Pour terminer, rappelons une petite note prise au Conservatoire par Éliane Moch-Bickert – élève de Louis Jouvet – lors de l’un des cours de son maître :« Il faut arriver à aimer tous les personnages qu’on joue, quels qu’ils soient. Il faut être très circonspect, très réservé avec eux, les fréquenter d’une fréquentation longue, quotidienne. C’est la seule façon d’en tirer quelque chose. »