Attiré par les dithyrambes de la presse et la présence au scénario de Fabrice Caro, notre chroniqueur, qui est resté un grand enfant, s’est procuré le dernier Astérix, l’Iris blanc. Catastrophe et désolation: sa lecture ne laisse rien passer.
À la copie, toujours préférer l’original. Vous n’achèteriez pas une copie de la Joconde exécutée au Louvre par un étudiant en beaux-arts chinois, n’est-ce pas — aussi adroits que soient les artistes chinois dans l’art de la copie… Eh bien, il en est de même ici.
J’avais quelque espoir : Fabcaro, de son vrai nom Fabrice Caro, est un bon scénariste, et un romancier fort drôle, j’avais l’année dernière salué ici son Samouraï. Tout ce qu’il en reste, c’est cet iris dont il tire son titre — et qui est le prénom de l’une de ses filles.
Pourquoi diable un iris ? Le personnage qui en tire sa philosophie, un certain Vicévertus (les auteurs ignorent-ils qu’il n’y a pas d’accent en latin ?) enseigne le développement personnel, la pensée positive et la macrobiotique — alors que l’iris est une fleur louche, dotée d’un rhizome qui a fourni à Deleuze et Guattari, dans Mille plateaux (1980), la métaphore d’un réseau infini, sous-jacent à l’individu, un pas de plus dans la déconstruction du sujet cartésien.
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L’intrigue tient donc à cela : un fomenteur de paix frelatée et de douceur molle est envoyé par César dans le village gaulois pour y propager la bonne parole post-moderne. Un postulat séduisant, dont le scénariste ne fait pas grand-chose, sinon inventer à chaque image des sentences supposées dulcifiantes : « Un triomphe sans risque est un triomphe orphelin », assène-t-il à César (le seul personnage que le dessinateur, Didier Conrad, a radicalement raté). Et à Bonemine, qui se languit comme d’habitude au village pendant que son frère fait une belle carrière à Lutèce : « Qu’importe d’être devant si ton âme, elle, reste derrière », dit-il, après l’avoir rassurée : « Tu émanes, tu irradies… »
Tu irradies rose, sans doute. Ah, combien profonde ma nostalgie des jeux de mots superbement foireux de Goscinny ! Rappelez-vous, dans Astérix en Hispanie : « Chaque année les Ibères deviennent plus rudes… » Nous étions écroulés…
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Le plus problématique, c’est que ces formules imbéciles sont si près de celles des adeptes de la pensée liquide que le second degré est peu perceptible. Certes, cela crée un léger décalage par rapport au Ier siècle av. JC, mais ça sonne comme une transposition pure des propos actuels des bobos qui ne se déplacent pas sans leur coach de vie et votent Anne Hidalgo.
Alors, vérifiez que vous avez toute la vieille collection des Astérix originaux, ou rachetez-les avant qu’ils ne disparaissent : cela ne m’étonnerait pas que l’on juge rapidement qu’Astérix chez les Goths est assez peu germanophile (Goscinny avait des excuses, trois de ses oncles, juifs ashkénazes comme ses parents, avaient disparu dans les camps de Pithiviers et Auschwitz), et que Falbala offre une vision de la femme qui pue le male gaze, comme on dit chez les crétins qui pensent bien. Déjà que le gros pirate noir, qui parle le latin avec un léger accent occultant les -r- (« O tempo’a, o mo’es ! », dit-il dans Astérix en Corse, citant Cicéron que nous avions traduit en version latine, ce qui accentuait le comique de la formule), fait l’objet de critiques virulentes des wokes de garde…
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