Quoi de vraiment neuf et de définitivement admirable sur les écrans de novembre ? Bellocchio et Guitry ! Un octogénaire et un disparu ! La jeunesse se charge, elle, de faire des films de vieux en arpentant les terres de la bienveillance et de l’hyperféminisme niaiseux à souhait. Heureusement, le cinéma en a vu d’autres…
Bellocchio, toujours
L’Enlèvement, de Marco Bellocchio
Sortie le 1er novembre
À 83 ans passés, le fringant cinéaste italien Marco Bellocchio prouve si besoin était qu’il demeure le maestro incontestable du cinéma transalpin. Dernier représentant du 7e art d’avant Berlusconi, c’est-à-dire d’avant la catastrophe, il illumine le cinéma d’aujourd’hui avec des films d’une ampleur absolue. Il nous avait laissés avec Le Traître, cet incroyable portrait d’un mafieux repenti, sorte d’opéra noir sidérant et d’une totale maîtrise scénaristique et stylistique. En mai dernier, il est revenu bredouille de Cannes avec son nouveau film, L’Enlèvement. Énième et désolante preuve qu’il ne faut pas confier à un jury composé de professionnels du cinéma qui ne vont jamais au… cinéma le reste de l’année, la tâche délicate de repérer les pépites dans une série de propositions plus ou moins inspirées. L’essentiel est heureusement ailleurs : le film du maestro Bellocchio sort sur les écrans français et chacun pourra en apprécier l’ambition.
L’histoire (vraie) que nous raconte le cinéaste se déroule en 1858 dans le quartier juif de Bologne, alors encore sous domination papale. Une nuit, une escouade de soldats pontificaux débarque sans prévenir au domicile de l’honorable famille Mortara. Ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de 7 ans qui, bébé, aurait été baptisé en secret par sa nourrice. Or, la loi de l’Église est indiscutable : cet enfant doit recevoir une éducation catholique. Les parents du petit garçon, soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et par la communauté juive internationale, vont tout tenter pour récupérer leur fils. Rapidement, l’affaire prend une tournure politique brûlante. Alors qu’il connaît une perte d’influence, Pie IX refuse catégoriquement de faire machine arrière. Cette histoire est d’autant plus fascinante qu’Edgardo, littéralement rééduqué par les prêtres pour extirper sa culture juive de naissance, restera fidèle à l’Église apostolique et romaine ; jusqu’à devenir prêtre lui-même, dans une incroyable conformité à cette vie redessinée, et jusqu’à tenter de convertir sa propre famille qui n’a pas voulu renier la religion juive ! Comme s’il était atteint d’une sorte de syndrome de Stockholm avant la lettre, il ne renoncera jamais à ce « deuxième père » que le pape est devenu pour lui. De même, il ne se résoudra jamais au fait que sa mère reste juive jusqu’à la mort. Incroyable destinée qu’aucun scénariste de fiction n’aurait pu imaginer tant elle est complexe, paradoxale, brutale et source d’interrogations.
Bellocchio dépeint avec infiniment de finesse et de précision cette Italie du « pape-roi » qui, en train de perdre la partie politique, essaie un dernier coup de poker avec cet enlèvement scandaleux : réponse ultraviolente et désespérée d’un pouvoir tentant de résister à son effondrement programmé. Le cinéaste excelle une fois encore dans la reconstitution du passé national, comme il l’avait fait avec Vincere.
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Il convient d’ajouter que sort au même moment sur les écrans son dernier documentaire, Marx peut attendre, réalisé en 2021. Une nouvelle contribution, ici très intime, au portrait de l’Italie des années de plomb que ne cesse de peaufiner Bellocchio au sein de sa filmographie. Ce nouvel opus accompagne le magnifique long métrage de cinéma Buongiorno, notte et de la fabuleuse série télé découverte l’an passé sur Arte, Esterno notte, tous deux centrés sur le décryptage de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro. Décidément, ce brillant octogénaire sert mieux que quiconque le 7e art !
Guitry, sans cesse
Le Génie Guitry
Sortie le 1er novembre
Le Génie Guitry : le slogan n’est pas volé ! Il plane sur les onze films du cinéaste surdoué que fut Sacha Guitry qui ressortent en salles. Onze films dont Le Roman d’un tricheur, Faisons un rêve et La Poison, pour ne citer qu’eux. Dans un texte rédigé pour l’occasion, Nicolas Pariser, auteur, entre autres, du délicieux Alice et le Maire, écrit fort judicieusement : « À une époque, la nôtre, où les scénarios (et notamment ceux des séries) sont architecturés de manière si technique, si rigide, le cinéma de Sacha Guitry est une véritable cure de jouvence, un antidote au formatage des scénarios en béton écrits avant tout pour convaincre les commissions de financement et les chaînes de télévision. » C’est en effet sa liberté de ton, de mouvement et sa maestria qui font du cinéma de Guitry un trésor national qu’il convient de préserver. Du plaisir à l’état pur qu’il faut découvrir ou redécouvrir sur grand écran. C’est le moment.
Concernant l’hyperféminisme niaiseux à souhait, retrouvez notre critique de La Tresse, de Laetitia Colombani, en salles le 29 novembre, P77 de votre magazine, en kiosques demain mercredi, et dès à présent dans le kiosque numérique. Ou plus tard dans le mois, sur le site Causeur.fr