Au prétexte de lutter contre les « pétainistes » et autres « racistes » qui gangrèneraient la démographie, les tenants de la ligne immigrationniste règnent en maître à l’Institut national d’études démographiques. Michèle Tribalat retrace les principales étapes de ce putsch idéologique.
L’enrôlement idéologique d’institutions à vocation scientifique dans les grandes causes du moment est un poison pour la recherche scientifique, la connaissance et l’information du citoyen, donc un mauvais coup pour la démocratie. Les sciences sociales, où la légèreté et la mauvaise foi ont plus d’espace que dans les sciences dures, sont les plus vulnérables à l’emprise idéologique. La démographie, qui possède un corps de méthodes quantitatives, était mieux armée que la sociologie pour résister à la tentation de réformer l’opinion publique au lieu de l’instruire. Pourtant, l’Institut national d’études démographiques (INED), temple de la discipline, a sombré corps et biens dans l’esprit du temps. C’est particulièrement vrai sur la question migratoire. Un petit retour en arrière permet de mieux comprendre la vulnérabilité de l’institution et sa propension à soigner non pas tant sa réputation scientifique, qui lui semble acquise, que son message censé l’éloigner de perceptions communes jugées moralement inacceptables.
La vengeance d’Hervé Le Bras
C’est par l’ordonnance du 24 octobre 1945, laquelle dissout la Fondation Alexis-Carrel créée par Vichy en 1941, qu’est fondé l’INED, à l’initiative de Robert Debré. Ce dernier propose ainsi de recycler une partie des membres de la Fondation dans un institut chargé de l’étude de la population, sujet majeur à la sortie de la guerre. Alfred Sauvy en sera le premier directeur. À ses débuts, l’INED assume son intérêt politique pour l’évolution de la population française, et c’est encore vrai en 1972, lorsque Gérard Calot, polytechnicien et responsable du recensement de 1968 à l’Insee, en devient le directeur. Ce dernier est très investi dans l’étude de la fécondité et de la politique familiale. Ilpromeut l’analyse quantitative des phénomènes démographiques et la constitution de bases de données démographiques qui seront très utiles au Conseil de l’Europe et à Eurostat.Mais, dans les années 1990, l’INED sera mis sous pression à l’occasion de deux polémiques visant à l’accoquiner avec le pétainisme (un peu facile, compte tenu de la filiation avec la Fondation Alexis-Carrel) et l’extrême droite, déclenchées par la même personne : Hervé Le Bras.
La première salve, tirée en mai 1990, occupe beaucoup la presse. Hervé Le Bras, démis de ses fonctions de rédacteur en chef de la revue Population, cherche à se venger. Il nourrit des médias complaisants,
