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Simenon, ce drôle d’ostrogoth

La chronique de Monsieur Nostalgie


Simenon, ce drôle d’ostrogoth
Georges Simenon a Paris en mars 1969 © LE CAMPION/SIPA

En cahier, en album, en récit ou en chromo, l’écrivain belge (1903-1989) n’en finit pas d’agrandir son cercle des laudateurs…


Inépuisable. Intarissable. Indéchiffrable. La source Simenon ne connaît pas de dérèglement climatique en cette 120ème année de sa naissance. Elle abonde et coule des jours heureux, à l’ombre des librairies. On y revient toujours, un peu penaud, un peu agacé aussi. Il y a de l’alchimiste chez ce Liégeois porté sur la bagatelle. Pourtant, aucune graisse. Aucun débord. Aucune vantardise de sa part. Une sécheresse presque suspecte, la phrase trop faible pour être complètement innocente, un style amorphe, quelque chose de lent et pénétrant, d’insidieux dans sa simplicité grammaticale, même pas une flamboyance d’auteur pour relever le menton, un de ces petits orgueils d’écrivain qui claquent et éblouissent, pour faire les malins en société. Simenon se refuse à ces gamineries-là. Il laisse les écorchés et les trublions à leur littérature déclamatoire. Il se méfie des mots trop longs et compliqués ; des formules alambiquées et des émotions bruyantes, elles réduisent l’atmosphère, elles nuisent à la profondeur des personnages, elles sont contre-productives dans l’art de narrer. Il écrit à bas bruit. Il burine sans brio, ni emphase. Il limite volontairement l’ouverture de son spectromètre à un vocabulaire compréhensible au tout-venant, à la masse, c’est pour mieux vous cerner, mes chers lecteurs. Là, réside le génie du grand Georges. Une banalité, une médiocrité, une humanité enfin révélée dans sa nudité, le malheur n’a pas besoin d’exhausteur de goût, de strapontin pour imprégner les peaux, il suinte naturellement. Dois-je le confesser ? dans le match qui oppose le commissaire Maigret au détective Nestor Burma, j’ai choisi depuis l’adolescence mon camp, celui de Léo Malet, dont l’écriture plus fouillée et fouillis rassérène mon mal de mots. L’anar-surréaliste, rétameur de bitume, ce gouailleur vindicatif en marge des écrivains officiels donc étudiés, correspond plus à mon tempérament brouillon et insatisfait. Mais, car il y a un mais, l’œuvre de Malet, aussi foutraque qu’elle soit, carnavalesque dans la mouise, pleine de jus et d’amertume, désabusée et un brin folklorique, ne résiste pas au naturalisme caverneux de Simenon. Chez le marin d’eau douce, contrairement à la prédiction d’Audiard, nul besoin de faire des phrases pour exister. Il est comme ces charmeurs de serpent, on croit connaître leur truc et on se fait quand même avoir. La source Simenon est comparable à celle d’Hergé, elle infuse longtemps dans les têtes, sans vous pointer un revolver sur la tempe, sans vous alerter par de grandes déclarations, elle ne peut cependant se dégager de votre mémoire. Derrière l’apparente innocuité de la ligne claire ou la métronomie des romans durs, la vie prend forme, elle y déploie son venin ou son suc, ce qui revient au même. Pour s’approcher de la « bête », les exégètes ne manquent pas. L’homme à la pipe fait vendre, les éditeurs ont parfois la main lourde. En cette période de la Toussaint, je vous conseille deux ouvrages légers par leur poids et orignaux par leur angle de vue.

Dargaud

D’abord Radio Simenon de José-Louis Bocquet à la Table Ronde ; le scénariste, romancier et biographe primé raconte dans un très court texte, savoureux et sincère, ce qui ne va pas de soi, son immersion dans l’œuvre-fleuve du Belge. A l’occasion d’une émission de radio qui sera diffusée sur les ondes de France Culture en 1988, Bocquet est entré en religion, il a approché le mythe par la voix. L’écoute intensive des heures et des jours durant, en apnée dans les archives de la Maison ronde, a agi comme un détonateur dans son propre processus créatif. « Ce n’est pas tant sa réussite littéraire et commerciale qui me trouble, mais le paradoxal équilibre entre l’humilité et l’orgueil présidant à sa longue marche vers le roman pur », écrit-il.Bocquet analyse finement que ce refus absolu de « faire littéraire » et ce long apprentissage vers le roman-roman tiennent autant d’un travail acharné que d’une recherche de vérité.

On retrouve également Bocquet à la manœuvre dans Simenon, l’ostrogoth, paru en trois cahiers à tirage limité ces dernières semaines et aujourd’hui en album complet, mis en images par Jacques de Loustal. Sur un scénario donc de Bocquet et de Jean-Luc Fromental avec John Simenon, on suit Simenon et Tigy dans leur pacte artistique au fil des méandres fluviaux. Le premier des deux qui réussit, en littérature ou en peinture, aidera l’autre. Loustal raconte que « c’est sur le canal de la Marne au Rhin, où (il) naviguait à bord d’une péniche pour les besoins de son diplôme d’architecture consacré aux canaux » qu’il a rencontré Simenon. « Je cherchais, pour des citations, des textes un peu atmosphériques sur ce genre de paysage et je me suis délecté in situ de La Maison du canal, de L’Écluse n°1, du Charretier de la Providence… ». Depuis, lui comme nous tous, sommes des Simenoniens d’adoption.

Radio Simenon de José-Louis Bocquet – La Table Ronde

Radio Simenon

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Simenon, l’ostrogoth – Loustal, Bocquet, Fromental, Simenon – Dargaud

Collection Simenon - Biopic - Simenon, l'Ostrogoth

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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