Thèse, antithèse, foutaise


Thèse, antithèse, foutaise

didier super concert

D’un côté, j’en suis bien conscient, si je ne me ressaisis pas, jamais je ne vous parlerai, comme promis, de notre bon pape François. Pourtant, qui d’autre le ferait mieux que moi, surtout dans le cadre de cette chronique ? D’un autre côté, il incarne l’éternité, alors que moi, je me sens un peu tenu par l’actualité, surtout quand elle me concerne. Après la mini-thèse dont je fus récemment l’objet sur un site complotiste voilà-t-il pas que je suis sollicité pour une vraie thèse de science politique ! Face à ça, on comprendra que le Scutum Fidei dont je comptais vous entretenir peut bien attendre encore un moi ou deux.

Mes années clubbing

Vendredi 24 janvier

Me voilà donc saisi par courrier d’un questionnaire destiné à une thèse de doctorat. Pas sur moi, hélas, mais sur le Club de l’Horloge, où j’ai quand même officié en tant que « nègre » au sortir des écoles, de 1977 à 1981. Pourquoi ne pas répondre ?[access capability= »lire_inedits »] Non seulement ça flatte mon ego, mais ça fait marcher ma mémoire : jamais mauvais, à nos âges… Je n’ai d’ailleurs jamais nié cette négritude horlogère ; seulement son imputation à crime. À l’époque, les fondateurs du Club, scissionnistes du GRECE, avaient quitté leurs drakkars embrumés pour aborder aux rives du réel. Ils voulaient faire de leur cercle une « boîte à idées » à destination de l’UDF et du RPR qui, hélas, n’en avaient guère l’usage. Quant au Front national, alors groupusculaire et sans débouchés, les membres du Club le toisaient de haut, un peu comme des bacheliers à mention face à des redoublants du certif. En fait de « clubbeurs », les horlogers ressemblaient plutôt à une bande de technocrates bien élevés, mais coincés. Heureusement, ils avaient pour chef Yvan Blot, un authentique personnage de Hergé, mi-Tintin mi-Tournesol et tout à fait baroque. A priori, mon doctorant souhaitait une interview, mais j’ai préféré répondre par écrit. Non seulement par prudence, mais surtout pour pouvoir vous en faire profiter ensuite. Comme disait ma grand-mère, « faut pas gâcher ».

Les droits de l’homme-bête

Lundi 3 février

 Je reste scotché par la condamnation à un an ferme du jeune crétin qui s’est fait filmer en pleine séance de lancer de chat. « À l’extérieur du tribunal », raconte Le Parisien, non sans émotion, « des dizaines de soutiens au chaton Oscar manifestent » ; ils répondent ainsi à l’appel de la SPA qui, heureusement, a souhaité un rassemblement « dans le calme ».  Le Parisien, toujours : « “Je ne sais pas ce qui m’a pris, je ne recommencerai plus, c’est promis”, a vainement tenté de se défendre le jeune homme […] Oscar, lui, se remet douce- ment de ses fractures. » Allons, tant mieux ! Il ne manque que son mail pour les messages de réconfort. Un an ferme ! Même s’il s’agit de « faire un exemple », comme on me l’a expliqué, n’est-ce pas légèrement disproportionné ? Pourquoi cette urgence de la « comparution immédiate », et tant de sévérité pour si peu ? On en fait moins pour les éléphants sans défenses. Serions-nous en train de passer une fois encore d’un extrême à l’autre, de l’« animal-machine » cogité par Descartes au manimal dont Oscar Ier semble inaugurer le règne ? Dans ce cas-là, tout le monde doit devenir végétarien comme Aymeric Caron ! Au nom de quoi aurions-nous le droit d’abattre industriellement certains animaux, parfois dans des conditions tout à fait cruelles, et pas d’en envoyer d’autres valdinguer dans le mur à l’occasion ? Si j’étais veau, vache, cochon, couvée, je rêverais d’être chien ou chat pour ne risquer que ce sort-là ! Cette drôle de zoophilie à géométrie variable change aussi selon les cultures. En Corée, et même dans certains cantons suisses, on mange volontiers du chien à toutes les sauces (ragoût, soupe, saucisson) sans y voir un problème pour la vie en commun − du moins avant le ragoût. Quant au chat routard, on lui conseillera d’éviter la Chine, où on le déguste après l’avoir « saisi » vivant dans l’eau bouillante (sinon, c’est moins bon).  Trêve de balivernes ! Si une patte de chaton cassée vaut un an ferme, je suis inquiet pour l’échelle des peines. À ce tarif-là, combien pour un braquage, même au pistolet à eau ? Et pour un bourre-pif, au hasard, à l’ami Caron ? C’est ça, la nouveauté radicale de la jurisprudence Oscar : un futur plat chinois, délicieux par ailleurs, vaut désormais un frère humain. À quand la Déclaration universelle des droits de l’homme-bête ?

Rock around the clock (club remix)

Dimanche 9 février

 Ça y est, j’ai fini de répondre au questionnaire sur mon « rapport au Club », comme on dit de nos jours. Vous en trouverez ici un résumé adapté à un public non universitaire.  Donc, j’ai travaillé pour le Club de l’Horloge de 1977 à 1981, sans jamais y adhérer et pour cause : ça m’aurait coûté du fric au lieu d’en rapporter. D’ailleurs, comme je le dis très bien moi-même dans ma fiche Wikipédia, « je n’ai jamais adhéré à aucun mouvement dont je ne fusse pas le fondateur » (même le GUD).  En revanche, parallèlement au Club, j’ai travaillé entre 1977 et 1981 pour : – l’Association pour la démocratie, « officine de propagande giscardienne », comme disaient les chiraquiens ; – Michel Poniatowski, pour son livre L’Avenir n’est écrit nulle part (1978) ; – le Parti républicain, alors dirigé par Jacques Blanc, c’est-à-dire Giscard (1978-1981). Au Club, mon travail consistait à transformer en livre une douzaine de chapitres rédigés par des auteurs aux influences littéraires très variées, de Proust à Morse. Pour donner à cet habit d’Arlequin une unité de style, il me fallait le découdre et le recoudre entièrement − après avoir compris, de préférence. Les gens du Club appelaient ça la « tellennisation », du nom de mon vrai nom. Si j’ai cessé de travailler pour le Club, à l’automne 1981, c’était pour me conformer aux ordres de Pasqua. Quand il m’a embauché, il a été très clair : « Je vous prévieng, mon petit Bruno, c’est un plein-temg ! Vous ne bossez plus que pour moi, à partir de maintenang ! » Comment lutter, et surtout pourquoi, si le salaire suit ?  Je n’aurai donc « tellennisé » que les trois premiers ouvrages du Club ; même qu’à la relecture, je prétends que ça se voit encore. Quant à ma présence parmi les « signataires » des deux suivants, elle s’explique par l’intégration dans ces livres de textes antérieurs, et sans doute par l’opportunité d’y faire figurer le « nègre » de Pasqua. Ce dernier n’y voyait d’ailleurs pas d’objection : en ce temps-là, la moitié des techno-clubbeurs faisaient partie du RPR, y compris le président Blot − les autres ayant opté pour l’UDF. C’est seulement à partir de 1986 que la tourelle du think tank giscardo-chiraquien s’est tournée plus à droite. Au lendemain des législatives, les horlogers ont découvert soudain les charmes du FN, passé par la grâce de François Mitterrand de 0 à 35 députés. Au même moment, le même Front ressentait pour la première fois le besoin de se doter d’idées, voire de fiches-argumentaires. Ce mariage de raison durera jusqu’au « puputsch » tragique de 1998, la plupart des clubbeurs ayant suivi Mégret sur sa ligne aventuriste…

Jamais content! 

Jeudi 13 février

 Ce métier de « plume » politique, depuis le Club de l’Horloge jusqu’à Pasqua, on peut dire que j’en aurai soupé. Mais justement : si le boulot n’était guère exaltant, au moins la soupe était bonne ! Il m’arrive de regretter ces chaînes dorées. Selon la taxinomie de La Fontaine, après avoir été chien je suis devenu loup, et c’est rudement fatigant.

Super génial !

Mercredi 19 février

 Suite à la jurisprudence M’bala M’bala, j’en connais un qui a intérêt à garer ses fesses, comme dirait mon beauf, c’est le chanteur Didier Super. Depuis plus de dix ans, ce punk à Deschiens se fout ouvertement de la gueule du monde, avec un répertoire où il s’en prend sans discernement aux pauvres, aux caniches, à l’antiracisme et aux petits Chinois qui fabriquent des jouets de mauvaise qualité au lieu d’aller à l’école.  Bien sûr, il y a la feuille de vigne du énième degré, mais le vent souffle fort, ces temps-ci ! Avant qu’il ne balaye Didier, je vous recommande de jeter un œil à ses prestations sur YouTube. À titre de teasing, je ne résiste même pas au plaisir de vous conter ici sa mémorable entrée en scène lors d’un « Grand concert contre le racisme » en 2008. Épaules voûtées, col roulé acrylique orange et lunettes recollées au scotch, Didier est en superforme. D’emblée, il prend à rebrousse-poil son public − qui est d’ailleurs plutôt celui des Têtes Raides et autres têtes d’affiche « engagées pour la soirée », comme disait Coluche. « Heu, au fait, c’est pour ou contre le racisme ici ? », risque-t-il d’une voix hésitante. Murmures et huées. Ça commence mal… Pourtant, le miracle va se produire ! L’artiste parvient à retourner la foule rien qu’en adoptant un ton militant et en levant le poing à chacune de ses saillies, de plus en plus incongrues par rapport au thème de la soirée : « Avant de commencer, je voudrais remercier les lois sur l’immigration, parce que sans elles, on n’aurait jamais fait cette petite fête ! […] Pour nous les artistes, ce genre de petite fête engagée, c’est important pour faire notre promo ! […] Sérieusement, je trouve que c’est bien qu’on se mobilise tous, parce qu’y en a marre qu’on ait des problèmes avec les immigrés ! » Trois doigts d’honneur au public, trois ovations en réponse… Ça, c’est Super ! En 2004, notre confrère Télérama avait qualifié son premier album de « plus mauvais disque du monde et de tous les temps », non sans quelques raisons, notamment musicales. Mais la vérité oblige à dire que Didier le fait un peu exprès. Quant aux paroles, cette galette contient plusieurs fèves en or telles que Marre des pauvres, On va tous crever (live), Putain d’Chinois ! et même J’ai pas trouvé de titre à celle-là. Accessoirement, nous avons eu le plaisir, mon amie Elvire Adrouät et moi, d’assister à une représentation de sa comédie musicale : Et si Didier Super était la réincarnation de Jésus- Christ ?, et je dois dire que la question reste ouverte.

Mes idées patapolitiques

Samedi 22 février

 Bientôt quinze jours que j’ai répondu aux questions de mon thésard sur le Club de l’Horloge. Si je n’ai pas encore renvoyé la copie, c’est qu’un truc me chiffonne… À la relecture de sa lettre, je comprends ! J’ai failli passer à côté de l’essentiel : le dossier de presse joint, censé servir de base à l’auteur pour « évoquer mes positionnements politiques ». Au secours ! J’ai bien fait de regarder. Ce qui ressort le plus souvent, comme depuis vingt ans (déjà, ou seulement ?) c’est le monstre du Loch GUD. Pourtant, Le Nouvel Obs a dûment consulté des « spécialistes de l’extrême droite », selon lesquels mon nom « n’apparaît jamais » dans l’histoire de cette organisation. Mieux : comme le rappelle l’hebdo, dès 1997, L’Événement du jeudi avait été condamné en première instance, puis en appel, pour cette imputation diffamatoire. Aurais-je donc adhéré à ce groupuscule étudiant à 40 ans passés ?  La dernière trouvaille, on la doit à Mediapart, dans un « article » lui-même recopié sur un blog anonyme : ma « participation à la création du MNR de Bruno Mégret, scission du Front national ». À ma connaissance personne, même dans la meilleure presse, n’a jamais prétendu que j’aie été un jour membre du FN. Or, pour se mutiner contre le capitaine Bligh, il faut quand même avoir navigué sur le Bounty ! Mais bon, à présent que Mediapart en personne a lancé ce ragot, je m’attends à ce qu’il me poursuive au moins jusqu’à ma mort. Encore un nouveau sparadrap pour le capitaine de Koch !

En conclusion, mon correspondant note, non sans une pointe d’ironie, que je semble « très soucieux de ce qui peut s’écrire » sur moi. Est-ce vraiment si original ? Comme tout le monde et lui-même, j’aspire à être jugé – si jugement il y a − sur mes actes et les écrits que je signe. Une saine controverse ne saurait se fonder que sur les idées exprimées par l’autre, pas sur ses arrière-pensées et pulsions putatives. Tel est pourtant le sort réservé, aujourd’hui encore, aux gens étiquetés de droite, victimes a priori de l’« herméneutique du soupçon », voire carrément de la « loi des suspects ». S’il est désormais un peu tard pour jouer à « Où étiez-vous en 1942 ? », le point Godwin et la reductio ad hitlerum fonctionnent à pleins tubes. Pamphlets et dossiers en forme de rafles intellectuelles n’en finissent pas de mettre dans la même charrette tous les suppôts supposés de la Réaction (Zemmour et Rioufol, Lévy et Finkielkraut – et même Brunet et Taddeï, dans des genres pourtant différents.) Et le comble, c’est que les médias dominants accusent désormais ces usual suspects d’avoir « pris le pouvoir médiatique ». Ce traité inégal a beau être risible, il est pénible à vivre, pour moi comme pour les méchants précités. Nul ne songerait sérieusement, aujourd’hui, à reprocher aux gens de Progrès la Terreur ou Staline, au risque d’être couvert de quolibets et d’insultes. Et moi, sous prétexte que je ne suis pas de gauche (désolé, je n’y arrive toujours pas), je serais complice des plus grands crimes, de l’Inquisition à la Shoah ? Voilà un chapeau un peu grand pour moi.  J’assume pleinement mes travaux de « nègre » pour ce qu’ils furent : des boulots d’écriture. Si je les avais jugés déshonorants, je les aurais refusés. Mais un mercenaire, aussi loyal soit-il, n’est pas un militant. Aussi suis-je « très soucieux » qu’on ne me prête pas rétroactivement des engagements que je n’ai jamais pris. Surtout que ces imputations sans fondement sont systématiquement nuisibles à ma réputation… Personne ne m’a jamais accusé de donner pour les Enfants du Mékong !

J’ai toujours répugné à l’embrigadement, plus viscéralement encore que mes meilleurs amis de gauche. Mes idées, je les ai exprimées, au premier ou au deuxième degré, dans nos journaux, parodies et manifs signés Jalons, et à titre personnel dans mes livres et mes chroniques. C’est sur ces faits, gestes et écrits qu’il conviendrait, me semble-t-il, de se fonder pour comprendre mes « positionnements politiques », plutôt que sur un dossier de presse. Par malveillance ou simple paresse, les journalistes ont tendance à recopier, quitte à les déformer, les erreurs volontaires ou non de leurs collègues. Ce n’est pas la source idéale pour une thèse de doctorat, surtout quand il s’agit de moi.

Mini-moi

Un amateur d’art allemand à Picasso, à propos de Guernica : « C’est vous qui avez fait ça ? » – «Non, c’est vous ! »

– Sur Fréquence Protestante, lundi 3 février à 23 heures : vif débat entre deux pasteurs sur La Dogmatique en 26 volumes de Karl Barth (inachevée !) Je serais curieux de connaître l’audimat.

– Superbe aphorisme de Tristan Bernard : « Un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune femme, alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux. »

– À la « une » de L’Express, 20 mars 2013 : « Les pervers narcissiques » ; 19 février 2014 : « Dans la tête des pervers narcissiques » ; 14 janvier 2015 : « Le salaire des pervers narcissiques » ?

– Un journaliste français à Zhou Enlai : « Que pensez-vous de la Révolution française ? » – « C’est un peu tôt pour se prononcer.[/access]

*Photo: SIMON ISABELLE/SIPA. 00622192_000009

Mars 2014 #11

Article extrait du Magazine Causeur



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