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Femme fatale?

L’affaire Makropoulos de Leos Janacek, à l’Opéra Bastille


Femme fatale?
© Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

L’affaire Makropoulos, l’opéra de Leos Janacek, dans sa production parisienne de 2007, n’a pas pris une ride.


Un extraordinaire prélude orchestral ouvre L’affaire Makropoulos, un des ultimes chefs d’œuvre du compositeur tchèque Leos Janacek ( 1854-1928) – écrit en 1926 à l’âge de 71 ans, soit trois ans avant sa mort puis la création posthume de son dernier opéra, De la maison des morts, d’après Dostoïevski  Cette entrée en matière devrait tenir l’oreille du spectateur entièrement captif, tant la musique rutile de couleur et d’éclat. Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski y superpose, projeté sur grand écran, un film en noir et blanc (muet, on l’aura compris !) qui convoque Hollywood et ses icônes – Marylin Monroe, King Kong, Erich Von Stroheim ou Gloria Swanson, la vedette de Sunset Boulevard, de Billy Wilder…

Adapté par Janacek lui-même de la comédie homonyme du romancier, journaliste et dramaturge Karel Capek (compatriote, très célèbre en son temps, de l’émérite compositeur), le livret, avouons-le, propose une intrigue quelque peu absconde : une histoire de procès, compliquée à souhait, pour recouvrer un pharamineux héritage. La voilà donc ici transportée dans l’âge d’or d’Hollywood. Allégorie du temps inexorable, le fastueux décor transpose ainsi l’action au cœur des majors américaines à leur apogée – jusque dans l’intimité de ses bureaux, mais aussi de ses piscines privées, salles de bain, et même pissotières… On y voit l’impérissable Emilia Marty dissimuler, sous la fraîche apparence de la trentaine, les 337 années de son âge véritable, tour à tour sous les traits d’Eugenia Montez, Ellian MacGregor, Elsa Müller, Ekaterina Michkin et Elina Makropoulos : ses seules initiales, E. M, restent frappées au sceau de l’immortalité. C’est pourtant à la perspective du trépas que l’héroïne s’affronte, diva tant désirée, tant célébrée par les hommes – fragile créature lovée dans la main géante de l’énorme gorille aux prunelles rouges… Mais impuissante à reconduire cette longévité fantastiquement étirée sur trois siècles à cause d’un élixir de jouvence expérimenté sur elle par erreur, et dont les effets à présent s’amenuisent… La sensuelle cantatrice devra trouver le chemin de l’acceptation de la mort, et du repos. Éternel ?  

Après deux reprises de cet opéra singulièrement bref (moins de deux heures, sans entracte) en 2009 et 2013, cette production parisienne, millésimée 2007, n’a pas pris une ride 16 ans plus tard : l’effet du philtre Makropoulos ? Sans doute, mais surtout, cette musique tout à la fois sautillante, économe, prosodique et pour le coup d’une modernité inoxydable, est portée par des voix infaillibles : mentionnons au premier chef la performance de la soprano finlandaise Karita Mattila, dans le rôle d’Emilia Marty, qui parvient à dominer les redoutables aigus de la partition. Quant au ténor tchèque Pavel Cernoch, familier de Janacek, il incarne Albert Gregor, l’amoureux transi, avec un lyrisme généreux dans une tessiture qui réclame une large amplitude. Quoique clairsemé, le public de la première a accueilli la représentation par des applaudissements nourris.

Tout le monde n’a pas la chance d’aller au festival de Salzbourg, mais on recommandera, pour finir, de visionner sur Arte.tv, en accès libre, le Macbeth de Verdi monté cette année dans une nouvelle mise en scène de Warlikowski plutôt controversée. Né en 1962, le Polonais y reconduit un certain nombre de motifs déjà présents dans sa lointaine vision de L’affaire Makropoulos : on ne se refait pas.    


L’affaire Makropoulos. Opéra en trois actes de Leos Janacek. Direction : Susanna Mälkki. Mise en scène : Krysztof Warlikowski. Avec Karita Mattila (Emilia Marty), Pavel Cernoch (Albert Gregor), Nicholas Jones (Vitek), Llanah Lobel-Torres (Krista), Johan Reuter (Jaroslav Prus), Cyrille Dubois (Janek), Karoly Szemerédy (Dr Kolenaty), Peter Bronder (Hauk-Sendorf).

Les 10,13, 17 octobre 2023. Durée : 1h50.




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