Avec son Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui, Frédéric Beigbeder passe au crible l’œuvre de quelque 300 auteurs. Un exercice dans lequel il entremêle l’intime, le sérieux, le parti pris, la mauvaise foi, l’humour et l’amour.
« Un bon écrivain, c’est ça : courtois en société mais mal élevé sur sa page ; humain avec autrui, dégueulasse avec lui-même » F.B.
Pour avoir consacré une somme critique à 600 écrivains vivants ou morts, de « tous » les pays – Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, 20 ans de travail, 40 de lectures (étonnant, non ?)– je me suis évidemment senti requis par la publication du Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui, de Frédéric Beigbeder, qui en concerne 281. Je précise que les autres ne sont pas morts mais, puisque le ministère de la Culture en dénombre 55 000 en France, le petit-neveu de Michel de Saint-Pierre (donc cousin par alliance de Montherlant) a fait une sélection.
On y retrouve le très bon lecteur, fin, rapide, érudit, capable de raccourcis pertinents et inattendus, de formules aussi – force ET faiblesse cependant, quand il y en a (un peu) trop, et que cela devient un tour.
Un exemple de raccourci qui fait mouche ? Alain Bonfand, mélancolique amoureux proche de Roland Jaccard – dont Frédéric cite quelques jolies phrases : « Des yeux très noirs : un malheur à chaque levée de cils. Je n’ai pas eu à me plaindre. » Ou, à une autre femme : « Je ne nous sens pas du tout incapables d’une histoire qui porterait nos prénoms » ou « Tu me rends seul. » S’ensuit cette formule judicieuse : « Alain Bonfand serait-il un Frédéric Berthet vivant ? »
Une manie de Frédéric ? Un exemple – parmi cent où il répète ce schéma – à propos de Capitaine, d’Adrien Bosc. Il assassine : « Il ne manque pas un bouton de guêtre, mais tout y sonne appliqué, apprêté, ampoulé. L’excès de labeur alourdit son rafiot, et sa fastidieuse reconstitution donne à son ananas une odeur de transpiration. » Puis il regrette, cinq lignes après : « Il est surdoué, il a tout lu, c’est une formidable courroie de transmission. » Frédéric, on ne peut pas dire ces deux choses à la fois. De toute façon, Adrien Bosc t’en voudra (d’avoir dit la vérité en premier – flagorner en second ne sert strictement à rien). Tu l’écris toi-même : « C’est à ce moment-là qu’il est devenu écrivain : en se faisant des ennemis. » (à propos de Sylvain Tesson).
A relire: Frédéric Beigbeder: «La cocaïne, c’est la drogue de la débandade»
C’est à ce genre de remarque non appliquée (inapplicable ?) que l’on comprend combien, sauf à être parfaitement masochiste, ce Dictionnaire était difficile à fabriquer. C’est l’histoire de Philippe Tesson au Figaro Magazine : à 90 ans, il connaissait tout le monde du théâtre, presque intimement. Comment eût-il pu être « méchant », alors qu’il « les » verrait la semaine d’après ? D’où le plaisir de sa chronique érudite et enlevée, mais son crédit parfois discuté.
Autre agrément de ce Dictionnaire : les citations. Elles corroborent une vieille idée: la littérature, plus que des histoires souvent, ce sont des phrases. Nommer est la grande affaire – et si l’on écrit UNE phrase qui dit précisément ce qui n’a jamais été aussi bien formulé, alors, c’est gagné. Un exemple (culte) ? Dans Love story, relu récemment : « L’amour, c’est ne jamais avoir à dire qu’on est désolé ». Ou la définition du mot « larme » par Raphaëlle Billetdoux : « Goutte qui meurt en s’évaporant, après avoir témoigné. » Ces citations, nombreuses, justifient presque à elles seules l’existence de ce « recueil » – et que leurs auteurs y figurent.
Une remarque : il y a des absents dans ce Dictionnaire, nous ne nous livrerons pas au jeu imbécile de les dénombrer. Mais il y a des « présents », qui sont les auteurs d’un seul roman (Gaël Faye) – ou retenus pour un livre en particulier, presque toujours le premier (Patrick Besson en a écrit cent, mais Frédéric ne cesse de relire le premier, Les petits maux d’amour). Pareil pour Amélie Nothomb, Jean-Paul et Raphaël Enthoven, Julia Kerninon, Tristan Garcia, etc. : le premier est le meilleur de leurs livres, selon lui.
D’où la question : pourquoi avoir négligé tant de premiers romans (et parfois uniques) puisqu’il leur accorde une telle importance pour nombre des 281 élus ? Deux exemples que ne cite pas Beigbeder (au hasard d’une mémoire à trous), qui justifient qu’on parle d’écrivains à leur propos : Solveig Vialle et Guillaume Devaux, auteurs de deux premiers romans épatants.
Il y a ceux qui considèrent des œuvres, d’autres, des livres. Frédéric considère des œuvres, quitte à ne retenir qu’un livre. Je n’ai jamais considéré que des livres (sauf pour Balzac, Aragon, Hugo, etc.). D’où que je retienne Vialle et Devaux et pas Picouly, Cortanze ou… Mazarine Pingeot contrairement à Frédéric. Qui cite lui-même un livre de Jakuta Alikavazovic où il est question d’un « écrivain, auteur d’un seul roman ».
Pourquoi ne pas s’en être souvenu au moment de composer ce Dictionnaire qui embrasse pourtant « large » (y compris Matzneff, Renaud Camus, Richard Millet, etc.) – jusqu’à Novarina, Bulteau ou Olivier Cadiot ? Celui-ci, parfois hermétique : « Mesdames et messieurs, on ne va pas réécrire toute notre vie le même petit roman de gare ou la énième complainte de victime de la société pourrie. Nous sommes bien d’accord là-dessus ? Alors oui au bizarre, oui au nouveau, oui à l’hypertexte et à Olivier Cadiot. Si Cadiot est trop bordélique, alors que dire de Bolano ? Pourquoi être épaté par Bolano et blâmer Cadiot ? Réponse : parce qu’il n’est ni mort, ni chilien. C’est un des problèmes de tous les écrivains de ce dico : n’être ni morts ni chiliens. »
Voilà pour la tonalité de ce Dictionnaire amoureux, une commande, précise Frédéric, qui entremêle l’intime, le sérieux, le parti-pris, la mauvaise foi, la générosité, l’amour un peu vénal (donc beaucoup d’Académiciens : Sallenave, Maalouf, Nora, Rouart, Lambron, Rinaldi, Bona, Sureau, etc.) – mais rarement la méchanceté, jamais l’ironie (il s’en explique). Et toujours l’humour, qui discrimine positivement, et heureusement : « Quand Marc Cholodenko commence des livres sans les finir, il imite beaucoup de ses lecteurs. » J’aime beaucoup Cholodenko– et Frédéric Beigbeder, même quand il est… excessif : « absolument réjouissant de bout en bout » (Lydie Salvayre).
Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui, de Frédéric Beigbeder, Plon, 2023.
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