L’ancien juge d’instruction et député honoraire, qui publie L’ensauvagement de la France: La responsabilité des juges et des politiques (éd. du Rocher), déplore la connivence croissante entre l’ultragauche et une partie des magistrats, au détriment de la cohésion sociale et des victimes de violences.
Causeur. Le Syndicat de la magistrature a participé samedi 23 septembre à la marche « contre les violences policières et le racisme systémique », aux côtés de LFI. Le week-end précédent, il tenait pour la première fois un stand à la Fête de l’Humanité, où il a accueilli plusieurs députés Nupes. Qu’est-ce que cela révèle, selon vous ?
Georges Fenech. Ce n’est pas la première fois que le Syndicat de la magistrature participe à des manifestations de ce type ou intervient dans des cénacles purement politiques. Toute son histoire est faite de liens avec des partis, des associations, des organisations de gauche ou d’ultragauche, au niveau national et international. La nouveauté, c’est le contexte. Ces nouveaux rapprochements entre un syndicat de magistrats et des responsables politiques surviennent dans un moment particulier : celui de l’après-émeutes. On connaît les positions de LFI sur la police. Les mots d’ordre anti-flics de la manifestation ne laissent aucun doute sur le prisme idéologique, tout comme les intitulés des débats à la fête de l’Humanité : « Table-ronde sur les contrôles d’identité et les violences policières », « Procès fictif des comparutions immédiates », ou encore « La question sécuritaire ou l’ordre qui déborde ». Le Syndicat de la magistrature ne se cache pas de faire de la politique.
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Le contexte a changé, mais le discours du Syndicat de la magistrature semble être resté identique…
Il n’a pas pris une ride ! On retrouve les accents de la harangue d’Oswald Baudot en 1974, la Bible du Syndicat de la magistrature, le célèbre « Soyez partiaux ! », qui recommandait aux jeunes magistrats : « Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, […] pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. » L’injonction à la partialité est répétée à l’envi dans les revues du Syndicat de la magistrature et à chacun de leurs congrès. S’ils ont épinglé, dans l’affaire du « mur des cons », des personnalités politiques comme des pères de famille de victimes, c’était encore une preuve de cette idéologie soixante-huitarde. Le Syndicat de la magistrature a toujours été une organisation révolutionnaire dans sa volonté de renverser les valeurs, de supprimer les frontières et les prisons, de mettre à bas l’instrument répressif, de considérer le délinquant comme une victime et l’étranger comme un créancier du crime de colonisation. Ils tiennent le même discours depuis un demi-siècle.
Comment jugez-vous la prise de position du Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui a déclaré : « Le Syndicat de la magistrature, ce n’est pas la justice » ?
En effet, le Garde des Sceaux s’est même dit « excédé ». C’est un tournant pour un ministre issu de la gauche qui, jusque-là, s’inscrivait dans la filiation de Robert Badinter, Elisabeth Guigou ou Christiane Taubira. Rappelons que le Syndicat de la magistrature a inspiré toute la politique pénale de la gauche depuis son arrivée au pouvoir : Joinet, son fondateur, était conseiller de François Mitterrand et de Lionel Jospin. La nouveauté, c’est la prise de conscience et de distance de la gauche, représentée par Éric Dupond-Moretti. Il a raison de ne plus considérer comme un syndicat de Justice une organisation politique qui pratique l’entrisme dans l’institution judiciaire.
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Cette prise de distance d’un gouvernement issu de la gauche à l’égard du Syndicat de la magistrature est-elle selon vous une bonne nouvelle ?
Le problème est qu’au-delà des discours, le Syndicat de la magistrature n’a rien à craindre ! Jusqu’à maintenant, aucun politique n’a jamais osé leur faire remontrance, en leur rappelant leur obligation statutaire de neutralité. Sans contre-pouvoir, les juges du Syndicat de la magistrature décident par exemple, en dernier lieu, du sort des étrangers en rétention et des trafiquants de drogue que la police interpelle. Du fait de leur liberté totale, ils n’encourent aucune sanction et mènent un combat politique sans qu’aucun gouvernement de droite ou de gauche n’agisse. Éric Dupond-Moretti lui-même a déclaré : « Depuis que je suis ministre, j’assiste, impuissant, à un certain nombre de dérapages ». Ce n’est pas vrai, il n’est pas impuissant !
Quels sont ses leviers pour contrer les « dérapages » qu’il dénonce lui-même, et que vous décrivez de l’intérieur, avec beaucoup de précision, dans votre ouvrage L’ensauvagement de la France ?
Le ministre peut tout à fait actionner les instances disciplinaires pour des propos quasi subversifs. Parler de « violences policières », remettre en cause les comparutions immédiates, publier des contre-circulaires à celle du Garde des sceaux, comme le Syndicat de la magistrature l’a fait au moment des émeutes… Ces magistrats se substituent au politique alors qu’ils ne sont pas élus. Ils n’appliquent pas la loi, ils la réécrivent, la contestent, en écartent la partie qui leur déplait. Le Syndicat de la magistrature n’est pas un groupe de révolutionnaires de salon : ils détiennent le pouvoir, sont à la tête de juridictions correctionnelles, de centres de rétention… Cette justice dévoyée, sortie de sa neutralité, porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs, avec des conséquences graves pour le corps social et pour les personnes victimes de violences. En effet, les juges politisés portent une part de responsabilité dans l’ensauvagement de la France.
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