On connaît le refrain : qui aime les animaux n’aime pas les gens — et réciproquement. Notre rédacteur, farouche partisan de nos amis les bêtes, a lu avec une conscience un peu partisane le dernier livre de la vétérinaire-star du petit écran. Diagnostic: tant pis pour le dépeuplement de la France, les animaux de compagnie le valent bien.
Ma récente chronique sur ce fils de p*** qui a cru intelligent de croquer une souris apprivoisée (et après enquête, il est toujours accepté comme élève de prépas au lycée Thiers, avec la mansuétude d’une majorité d’enseignants, alors qu’il devrait croupir aux Baumettes) m’a valu ici même quelques commentaires désobligeants — ou étonnés, dans le genre « mais enfin, ce n’était qu’une souris… »
Ouais. Mais la prochaine fois, ce sera toi.
Je prends donc le risque de consacrer un nouvel article à la cause animale. Plus exactement aux avantages, qu’Hélène Gateau souligne avec humour tout au long de son plaidoyer, que représente l’adoption d’un chien par rapport à la démonstration in vivo de votre capacité de viviparité.
Quadrupède contre bipède humanoïde
Partons d’un peu loin. L’adhésion des imbéciles aux « communautés », la limitation à une race, un genre biologique ou une religion, sont insupportables dans une République qui ne connaît ni races, ni préférences sexuelles, et tient à égalité hommes et femmes — et même les connards.
Alors, condamner les femmes à un destin hormonal (« tu enfanteras dans la péridurale aux alentours de 30 ans pour cause d’appel biologique ») me paraît tout aussi mutilant. Hélène Gateau était arrivée à l’âge où parents et amis vous questionnent (et pire, ne disent rien mais n’en pensent pas moins) sur l’arrivée éventuelle d’un petit tas de chair pleurnichant, consommateur avide de couches et distillateur de culpabilités, pour des années, envers ses géniteurs. Un être gluant que l’on vous colle sur le ventre dès sa sortie, afin que le processus d’imprégnation, jadis théorisé par Konrad Lorenz (1903-1989) et qui contribua puissamment à son prix Nobel de médecine en 1973, commence au plus vite. De sorte que le moutard restera des années durant collé aux jupes de sa mère (sommée par ailleurs de reprendre une vie professionnelle au plus vite), avant de la répudier à l’âge des premiers boutons d’acné. « Être mère, souligne Hélène Gateau, c’est faire naître un enfant et une nouvelle femme. Ce n’est pas que je suis entièrement satisfaite de qui je suis, mais je n’ai jamais voulu prendre le risque de devenir une autre. »
Ni d’être un jour appelée « maman » par son mari.
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Sans compter qu’être enceinte, c’est prendre le risque d’avoir un garçon — ce qui, figurez-vous, entraîne un déclin cognitif plus rapide que lorsqu’on a des filles, comme l’a établi une étude très récente.
Et comme on ne peut pas choisir…
Rien de tel avec un chien. Cueilli autour de 10 semaines, juste au début du sevrage, il passe de sa mère à vous, et vouera à son maître un amour et une fidélité que vous n’obtiendrez jamais (la seconde en particulier) d’un bipède humanoïde. Tout le livre — que je ne vais pas résumer ici — est l’analyse des relations entre un chien et son maître. C’est un manuel complet d’éthologie, écrit dans un style familier et plein d’humour.
Le chien consolide le couple, lui
Un chien consolide un couple — alors que 20 à 25 % des couples se séparent dans les mois qui suivent la naissance d’un enfant — encore plus vite lorsque ladite naissance a eu pour objet de rafistoler une relation déjà en loques. L’arrivée d’un chien ne se traduit ni par des modifications physiologiques, ni par des stress psychiques — le fameux baby blues. Un chien est juste source de joie.
Et financièrement, il revient infiniment moins cher. Élever un enfant, disent les statisticiens, c’est consacrer sur 18 ans en moyenne 180 000 euros à son éducation. Un chien, ce sont des croquettes, un harnais, une laisse — et quelques vaccins. Et c’est tout.
Un chien, quand vous l’emmenez en week-end avec vous, ne vous demande pas toutes les trois minutes « quand est-ce qu’on arrive ? », ni n’exige de tablette pour jouer à des jeux réducteurs de QI. Un chien manifestera sa joie de vous voir revenir, le soir — mon bouvier bernois — 75 kilos — me sautait dans les bras en prenant son élan, ce qui suppose une musculature et une stabilité conséquentes.
Ma seule inquiétude, au sortir de ce livre, est qu’il lance la mode des scottish terrier. On a vu au fil des années ce que l’engouement pour telle ou telle race (les bergers allemands, les pitbulls, les labradors ou plus récemment les bergers australiens) donnait rapidement en termes de dégénérescence, la demande entraînant des croisements rapides peu favorables à la diversité génétique. D’où les problèmes des chiens à la mode, de la dysplasie des bergers allemands ou des labradors aux tares dangereuses des american staffordshires et autres dogues argentins.
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C’est pourquoi j’ai choisi un labrit — le petit berger des Pyrénées. On en voit peu, ça ne demande aucun soin particulier, c’est frugal et increvable. L’animal qu’il me fallait pour m’accompagner dans mes 10 ou 15 kilomètres quotidiens.
Actor’s Studio
Hélène Gateau finit son ouvrage en évoquant la mort de l’animal — qui arrive, selon les races, entre 8 et 15 ans. Rappelez-vous Beethoven, ce gentil film où, refusant dans un premier temps d’adopter le chiot saint-bernard qui leur est tombé du ciel, Charles Grodin constate : « On l’aime, et puis il meurt, et on est dévasté ». Etudiant des textes théâtraux avec mes élèves, je les ai surpris plus d’une fois par ma capacité à pleurer quand la scène l’impliquait. « Mais comment faites-vous ? » Ma foi, comme à l’Actor’s Studio (il faut être bon comédien pour être prof) : je me rappelais la mort de ce bouvier bernois — Phébus, de son petit nom —, sur laquelle je surimprimais le récit, dans l’Odyssée, de la mort du chien d’Ulysse, qui vingt ans durant, attendit le retour de son maître :
« Un grand chien couché leva la tête et les oreilles ; c’était Argos, le chien que le vaillant Ulysse achevait d’élever, quand il fallut partir vers la sante ilion, sans en avoir joui… Il reconnut Ulysse en l’homme qui venait et, remuant la queue, coucha les deux oreilles : la force lui manqua pour s’approcher du maître.
« Ulysse l’avait vu : il détourna la tête en essuyant un pleur… »
Je m’arrête ici, je ne vois plus mon clavier qu’à travers un voile humide.
Hélène Gateau, Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant), Albin Michel, septembre 2023, 170 p.
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