« Rumeur », « paranoïa », « hystérie ». « La théorie du genre n’existe pas », c’est Vincent Peillon qui le dit. Fermez le ban ! La guerre du genre n’a pas eu lieu, sinon dans quelques cerveaux fascistoïdes. Il est vrai qu’entre les affabulations des uns et les dénégations des autres, je me suis demandé si je n’avais pas aussi pris des vagins pour des lanternes et, finalement, exagéré une initiative gouvernementale somme toute bien raisonnable. N’en déplaise à Vincent Peillon, la théorie du genre existe bel et bien. Mais ce qui est à l’œuvre, c’est plutôt l’idéologie du genre que l’on définira comme la promotion délibérée de l’indifférenciation sexuelle – toute différence sexuelle étant considérée comme une discrimination socialement organisée. Depuis l’arrivée de Najat Vallaud-Belkacem au ministère des Droits des femmes, cette idéologie a gagné les plus hautes sphères. Les revendications du lobby LGBT et de syndicats d’enseignants – notamment le très avant-gardiste SNUIPP- FSU, majoritaire, dont les rapports fournissent la majorité des « livres recommandés » qui ont hystérisé le débat – sont devenues l’objet d’une planification d’État.
On ne s’attardera pas sur le premier front, qui n’est peut-être pas le plus dangereux mais assurément le plus énervant : celui du langage, qu’il faut expurger de ses structures sexistes, reliquats fascistes de l’hétéro-patriarcat. La novlangue bêtasse des combattant(e)s de la grammaire est désormais omniprésente dans les documents officiels : « Restez informé-e ! » lit-on par exemple sur le site de la ministre, qui cautionne ainsi la défiguration de notre langue.[access capability= »lire_inedits »]
Mais l’enjeu de la mère de toutes les batailles, ce sont les jeunes cerveaux. La stratégie a été énoncée par le ministre lui-même : « Le gouvernement s’est engagé à “s’appuyer sur la jeunesse, pour changer les mentalités”, notamment par le biais d’une éducation au respect de la diversité des orientations sexuelles », écrivait-il en janvier 2013 dans une lettre aux rectrices-et-recteurs (on appréciera les guillemets). En mai 2013, cette feuille de route est développée dans un « Programme d’actions gouvernementales contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ». Pour changer la société, il faut changer les enfants.
Cependant, on ne renonce pas complètement à rééduquer les parents. En janvier 2014, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective publie à son tour un rapport inti- tulé « lutter contre les stéréotypes de genre » (qui deviendra « lutter contre les stéréotypes garçons-filles » après la polémique), où le mot « genre » est utilisé à pas moins de 300 reprises. Il préconise notamment le « rééquilibrage du partage du care (sic) entre hommes et femmes dans la sphère familiale » et la « montée en mixité des métiers de la petite enfance ». Traduction : promouvoir les nounous barbues et les papas-pampers pour lutter efficacement contre les inégalités hommes-femmes, oups, pardon, « femmes-hommes », selon la terminologie officielle.
Quant aux fameux ABCD de l’égalité, ils sont lancés officiellement fin janvier 2014, même si l’« expérimentation » avait commencé à la rentrée dans 600 classes réparties dans 10 académies. Sur le site du Centre national de documentation pédagogique, on peut avoir accès aux délicieux outils pédagogiques mis à disposition des enseignants, censés « donner tous les moyens de déconstruire, par le savoir, les préjugés qui s’opposent à l’égalité véritable ». On y trouve, pêle-mêle : une fiche technique redéfinissant les règles du gendarme et du voleur dans le sens d’une égalité réelle avec interdiction d’éliminer les perdants, la description de la « danse scolaire du Petit Chaperon Rouge » où il faut inciter les filles à se déguiser en loups et les garçons en chaperons, la déconstruction du stéréotype de la princesse dans les contes de fées, et la présentation du malheureux Louis XIV en drag-queen puisqu’il portait des talons et des rubans. Sans oublier cette tautologie érigée en règle de vie pour les adolescents : « Soyez comme vous êtes ». Dans le néomonde, l’école n’est même plus vouée à l’apprentissage de l’autre (ne parlons pas de transmission du savoir), mais doit être un terrain d’épanouissement illimité du moi, le lieu de l’être, dans toutes ses formes également encouragées.
On ne sait plus si on doit rire ou pleurer face à l’intrusion de la bêtise pédago-bureaucratique dans les jeux d’enfants. Certes, il n’y a rien de « totalitaire » à apprendre aux petites filles qu’elles ne devraient pas avoir pour seul rêve de devenir princesses, et aux petits garçons que jouer au foot ne fait pas de vous un homme. À ce titre, les pancartes de la Manif pour tous du 2 février qui affichaient une petite princesse et un petit Zorro sous le titre « Touche pas à mes stéréotypes ! » sont aussi niaises que contre-productives. Il est aussi idiot de se glorifier des stéréotypes que dangereux de vouloir les abolir, ceux-ci existant pour être dépassés, contredits, subvertis. La planification rationnelle et méthodique, par le haut, de leur destruction n’en est pas moins inquiétante.
En réalité, dans cette affaire, tout le monde prend l’insignifiant pour le signifié ou, à l’inverse, le significatif pour le dérisoire.
Il est vrai que l’on ignore combien de professeurs utilisent des ouvrages et autre matériels pédagogiques qui ne figurent pas dans les programmes officiels mais dans des recommandations formulées par les syndicats ou des associations plus ou moins mandatées par l’État – dans quelles conditions, on aimerait le savoir.
Difficile aussi, de connaître l’impact réel du lobbying intense de ces associations, impact qui dépend du niveau de militantisme des enseignants. Or, à l’évidence, beaucoup suivent. Un professeur de biologie, catholique esseulé au milieu de ses collègues soixante-huitards, me confie « le pire, c’est que ça marche ! Pour la première fois cette année en cours de bio sur la reproduction, alors que je parlais des effets de la puberté sur l’attirance pour le sexe opposé, un élève m’a demandé : « pourquoi “sexe opposé” ? »
On ne dira pas que la bataille du genre a été menée intelligemment. À cet égard l’intervention de Jean-François Copé sur le livre Tous à Poil – ainsi érigé en pain au chocolat du genre – a été franchement grand-guignolesque. De peur d’être frappé de l’anathème « homophobe », le président de l’UMP s’est bien gardé de s’en prendre aux nombreux livres faisant la promotion de l’homoparentalité (Tango a deux papas) ou de l’indifférenciation (Papa porte une robe), pour dénoncer un livre, certes désolant, mais jusque-là confidentiel, qui met en évidence l’altérité irréductible de l’entre-jambes. Résultat : Tous à Poil a trouvé la place qu’il mérite dans le top 3 d’Amazon, entre Cinquante nuances de Grey et La femme parfaite est une connasse, deux chefs-d’œuvre de vulgarité.
N’empêche, en mêlant de pures inventions à des fragments de vérité, les opposants ont remporté une victoire sémantique et idéologique : sémantique, en imposant le terme dans le débat, idéologique en obligeant Peillon et Vallaud-Belkacem à cacher leurs intentions véritables. L’embarras a changé de camp. Il ne reste plus que quelques féministes agitées pour défendre fièrement la cause : « Il y a une bataille culturelle, idéologique, philosophique à mener sur l’égalité de genre. C’est normal que ça résiste, on est en train de changer la société ! », a ainsi avoué candidement Caroline de Haas, ancienne présidente de Osez le féminisme, alors que les ministres suaient sang et eau, de démentis en reniements, pour noyer le poisson.
Cette opposition souvent caricaturale a même réussi à faire reculer nos gouvernants, comme en témoigne une micro-anecdote concernant la ligne Azur. Ce site internet intégralement financé par l’État et autorisé à communiquer dans les collèges et lycées se présente comme « un dispositif de soutien et d’information pour toute personne qui se pose des questions sur son orientation sexuelle et/ ou son identité de genre ». Sa méthode pour lutter contre l’homo-lesbo-bi-trans-phobie, c’est la « sensibilisation aux questions de genre ». On y trouve, entre autres merveilles, un ABCD allant d’« Androgyne » à « Sexe social » en passant par « Pansexualité », et des affiches représentant une roulette sous le slogan « Homo-bi-hétéro : qui suis-je ? » suggérant que l’orientation sexuelle est aussi aléatoire que le casino. Rassurez-vous, on ne sait pas qui est vainqueur(e), sans préciser bien sûr qui gagne.
En pleine polémique, et alors que le site avait été attaqué à plusieurs reprises suite aux déclarations de Zemmour[1. Qui s’était indigné de l’existence du site sur I-télé.], un changement microscopique mais significatif y est intervenu. Au chapitre « identité de genre » définie comme « le sentiment d’être homme ou femme », on pouvait lire cette phrase : « Pour certains, le sexe biologique coïncide avec ce ressenti. » Désormais, il est affirmé que « très souvent, le sexe biologique coïncide avec ce ressenti. » Deux mots qui résument la défaite idéologique, certes mineure mais tout de même, des promoteurs de l’indifférenciation. Certes, il n’est pas question de reconnaître la différence sexuelle comme une norme, mais on admet qu’elle correspond à la façon dont la majorité des gens se définit (qu’ils soient homos ou hétéros). Que Béatrice Bourges, Civitas et Farida Belghoul se le tiennent pour dit, on ne reviendra pas à l’idée que le sexe biologique coïncide « toujours » avec le « ressenti ». Mais « très souvent », c’est déjà une victoire du bon sens.[/access]
*Photo: BERNARD BISSON/JDD/SIPA.00678350_000018.
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