Un seul être vous manque…
La nuit était passée au 22 septembre quand j’ai appris la nouvelle. Ce n’était pas la tragédie des migrants en masse à Lampedusa, le volontarisme soudain de la France, la probable continuation de l’impuissance européenne. Ni les immenses désastres du Maroc et de la Libye. Ce n’était pas non plus l’annonce de la participation provocatrice et indigne du Syndicat de la magistrature à la manifestation anti-violences policières du 23 septembre. Pas davantage que l’odieuse comparaison, par Sophia Chikirou, de Fabien Roussel avec Jacques Doriot, validée par Jean-Luc Mélenchon : « Il y a du Doriot en lui ». Ce qui aurait été déjà inconvenant sur le plan de l’analyse psychologique devenait franchement abject dans le registre historique et politique. Je n’avais pas été ému plus que cela par les suites de la pantalonnade et de la déconfiture sur la vente à perte. Je gardais mon sang-froid face à l’impression d’une Première ministre emportée dans le flot gouvernemental avec des ministres tentant tant bien que mal de résister à la morosité ambiante. Les rivaux de demain tenaient le haut du pavé aujourd’hui : Gérald Darmanin et Gabriel Attal. J’étais capable de dominer mon impatience face aux tergiversations de LR pour le choix de sa tête de liste pour les élections européennes : François-Xavier Bellamy encore, avec un second très pugnace, ou quelqu’un d’autre. Et à l’attente d’un duel qui vaudra la peine entre Jordan Bardella et Marion Maréchal. Et à la sélection du candidat de « Renaissance » qui sera évidemment à la peine ! Je retardais ma détestation des harcèlements scolaires et des violences faites aux femmes. Je dominais mon exaspération à l’égard de certains propos de Sandrine Rousseau. Pas facile pourtant. Je détournais mon empathie de Véronique Monguillot qui se plaignait de n’avoir pas eu « une justice exemplaire » avec les 15 et 13 ans de réclusion criminelle infligés par la cour d’assises des Pyrénées-Orientales aux deux criminels responsables de la mort de son époux. Je négligeais mon inquiétude face à une France en déclin et en ensauvagement. Je ne dénigrais pas les promesses non tenues, le verbe stérile. Je me sentais ailleurs. Je différais mon admiration pour le courage intellectuel du roi Charles III ayant su, à propos de l’écologie, rassembler notre monde parlementaire sans virulence ni démagogie. Je maîtrisais mon estime pour le président Zelensky, pour son discours à l’ONU et sa volonté d’obtenir des armes offensives encore refusées par le président Biden qui cette fois n’avait pas confondu les pays. Je n’étais obsédé par rien de ce qui aurait dû me heurter, me mobiliser, m’émouvoir.
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J’avais honte de moi parce que cette nouvelle qui avait pris le pas sur tout, c’était la blessure d’Antoine Dupont à la 46e minute du match de la France contre la Namibie, gagné par notre pays avec un score stratosphérique : 96 à 0. J’avais honte de moi parce que la probable absence de notre génial demi de mêlée ne quittait pas ma tête, renvoyant aux oubliettes tant de choses capitales. Et je mesurais mon inélégance à l’égard de son excellent remplaçant Maxime Lucu. Bizarrement, il y avait dans ma honte une étincelle d’étrange joie : le fait que quelqu’un puisse apparaître aussi indispensable, tellement nécessaire alors qu’il n’est rien qui ne soit révisable, critiquable, jetable… J’ai honte mais cela passera. Quand il reviendra.
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