Kevin McCarthy a lancé le premier acte de la procédure de destitution à l’encontre du président Joe Biden. En toute logique, normalement, cela devrait marquer un moment d’inquiétude, voire d’angoisse, dans le camp Biden. Or les Démocrates semblent indifférents, voire contents… En effet, le parti Républicain va mal en réalité, et cette procédure en est le reflet. Harold Hyman raconte et analyse.
Le 12 septembre, Kevin McCarthy a finalement ordonné une enquête pour voir s’il y a matière à impeachment. La chose la plus étonnante, dans ce nouveau chapitre d’un feuilleton politico-judiciaire américain sans fin, c’est sa très faible possibilité de réussite ! Le président de la Chambre des représentants des États-Unis a ordonné l’ouverture d’une enquête préliminaire, qui dira si l’on peut constituer une commission parlementaire d’enquête à charge et à décharge, ce qui marquerait le début formel de l’impeachment. Mais cela prendrait de nombreuses semaines, et paralyserait les travaux de la Chambre. Est-ce que les députés républicains eux-mêmes accepteraient l’ouverture de la phase « impeachment » ? 14 députés ont gagné dans des zones qui ont majoritairement choisi Biden président. Ces quatorze élus, déjà, n’auraient aucune envie d’autoriser un impeachment car ils craignent pour leur réélection.
McCarthy sous pression
Sur le fond, il n’y a pas une masse incontournable de faits incriminants ni même nouveaux. Les sénateurs Républicains ont déjà mené une enquête en 2020 contre Joe Biden, avec les mêmes éléments qui sont maintenant ressuscités par M. McCarthy. Ce dernier, de tendance modérée, est l’un des présidents de la Chambre les plus mal installés, suite aux concessions explicites accordées à son aile droite populiste dans un « pacte » qui permet à un seul député d’exiger sa révocation du perchoir. Le chef de file de ce groupe est Matt Gaetz, de Floride, qui a trouvé l’ouverture de cette nouvelle enquête parfaitement insuffisante, et a dénoncé le manque de sincérité de M. McCarthy – « Les mots du président de la chambre ne sont pas sincères ! ». Il menace à présent de renverser le président de son perchoir, et il en a le pouvoir.
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En clair, McCarthy a été pressuré pour ouvrir cette enquête, afin de garder son poste et de maintenir le bon financement du gouvernement fédéral qui aurait pu être paralysé le 30 septembre avec un énième risque de « shut-down ». Mais McCarthy pense que le public américain ne veut ni shut-down, ni impeachment, et donc c’est Matt Gaetz qui pourrait être submergé et le ridicule pacte enterré… En tout état de cause, Biden ne risque pas la destitution car le Sénat, qui devrait agir comme jury, est à majorité démocrate. La première guéguerre civile a lieu au sein du parti Républicain.
Soupçons de corruption et… de sénilité
Cependant, une enquête pourrait exhumer des éléments embarrassants. Les députés partent à la pêche pour voir quel nouveau méfait ils pourraient accrocher à leur tableau de chasse grâce à leurs pouvoirs d’enquête. Les récentes allégations incriminantes contre Joe Biden sont très minces: il serait venu à des dîners payants organisés par son fils. Comment prouver qu’il a discuté d’avantages pécuniaires contre une influence politique, alors que Biden, alors vice-président, n’est resté que quelques minutes, à parler de la météo et serrer quelques mains ? Ceci s’ajouterait en tout cas aux allégations de corruption de Hunter Biden lorsqu’il a travaillé pour une société gazière ukrainienne, et de corruption collatérale de Joe Biden, alors vice-président. Juridiquement, l’affaire ukrainienne est très mince, et il est sûr que Joe n’a rien touché ni rien manigancé en faveur des intérêts de Hunter en Ukraine, même s’il était vaguement au courant. Le but de cette marche mort-née vers un impeachment est de salir la réputation de Biden, candidat à la réélection.
Mais le camp démocrate a un souci plus préoccupant. Sans doute que l’âge de Biden est devenu un sujet majeur et électoralement délicat. Même un journal français d’ordinaire très favorable aux progressistes, comme Le Monde, le reconnait désormais. Alors que jusqu’à présent, tous ceux qui évoquaient la santé du président américain étaient renvoyés dans le marigot complotiste. Un récent sondage d’Associated Press-NORC montre que 77% des sondés, et 69% des Démocrates, pensent que Joe Biden est trop vieux pour être efficace lors d’un deuxième mandat. De nombreux Démocrates vous le diront en confidence, avec ce codicille touchant : il a l’air gaga, mais pourtant il s’en sort très bien finalement ! Le candidat Trump serait en outre lui aussi âgé, il n’est que de trois ans le cadet de Biden, et l’un comme l’autre ont une mémoire parfois défaillante. Seulement, comme Biden aime à restituer des faits et des souvenirs, il se trompe davantage que le milliardaire… En plus, l’actuel président a des moments de désorientation cognitive. Trump, qui ne semble lui jamais désorienté, préfère parler avec des superlatifs, et use de questions rhétoriques. Il produit ainsi un bon paravent à ses éventuelles lacunes.
Dans le camp Démocrate, il n’y a personne pour concurrencer Biden. Pourtant, à supposer que Joe Biden accepte de s’éclipser, la torche retomberait naturellement entre les mains de la vice-présidente. Reste que dans l’histoire politique américaine, c’est souvent sans grand succès que les numéros 2 sont recyclés en tant que candidats à la succession. Nixon, huit ans le vice-président du président Eisenhower, se lança directement dans l’arène en 1960, perdant la présidence remportée alors par John Fitzgerald Kennedy. Le vice-président de Lyndon Johnson, Hubert Humphrey, fut battu par Nixon sur le retour en 1968. George Bush père fut l’un des rares à directement l’emporter après huit ans à la vice-présidence. Kamala Harris, très faible dans les sondages, ferait bien de passer son tour, quitte à rebondir ultérieurement. Dans le parti Démocrate, un facteur de division vient en outre compliquer l’affaire: il s’agit de la bataille entre la gauche sociétale et les modérés. Biden est l’un des rares modérés à pouvoir maintenir la gauche dans le giron du parti, et il a aussi l’avantage d’attirer un électorat indépendant centriste qui ne voit que lui d’acceptable en anti-Trump… Ce scrutin de 2024 fera bouger toutes les lignes.
Donald versus Hunter
Le grand chamboulement politique de 2024 est d’autant plus évident que chez les Républicains, la campagne des primaires a commencé. La plupart des candidats veulent y être Trump à la place de Trump, comme le gouverneur de Floride Ron DeSantis. Certes, quelques postulants, plus rares, se voient en alternative avec une nouvelle forme de républicanisme, plus probe, en tout cas moins suspecte d’accointances russes. Il s’agit de Nikki Haley, ex-gouverneure de Virginie et ex-ambassadrice états-unienne à l’ONU, et de Chris Christie, ex-gouverneur de centre-droit du New Jersey qui avait pourtant été parmi les premiers à se rallier à Trump (en 2015) avant de le renier après le scrutin de novembre 2020, et bien avant l’assaut sur le Capitole. Néanmoins, si Trump reste plus populaire dans les intentions des électeurs Républicains que tous les autres candidats réunis, les inculpations et les procès pourraient finir par jouer. Il suffirait que suffisamment de Républicains cessent de croire en Trump le sauveur, ou encore que Trump soit incarcéré, pour tuer la foi en son retour.
Ce scénario reste à écrire, car Trump ne pourra sortir indemne de tous ses revers judiciaires. Il y aura des secousses et des révélations. L’on aura une campagne qui sera accompagnée d’un feuilleton judiciaire : les turpitudes de Trump et les magouilles de Hunter Biden. Une telle descente dans la jungle politico-judiciaire marquera assurément l’histoire du pays. Donald versus Hunter.
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