Notre président de la République serait-il « too much » ? La personnalité d’Emmanuel Macron est un sujet inépuisable pour notre chroniqueur.
À ceux qui pourraient me reprocher de négliger le fond de la politique d’Emmanuel Macron, je répondrais que celle-ci est tellement fluctuante, contradictoire au gré des tactiques et des circonstances, qu’il ne me semble pas choquant de laisser de côté dans ce billet ce qui relève d’un frénétique opportunisme. Alors que plusieurs événements d’importance inégale, sur le plan national comme international, justifient au contraire qu’on focalise sur la psychologie de notre président de la République qui semble toujours aller un peu trop loin, sans privilégier la mesure, la discrétion voire le silence quand ils seraient, à l’évidence, nécessaires.
L’affront africain
Beaucoup d’initiatives d’Emmanuel Macron me paraissent en effet avoir pour dénominateur commun l’irruption d’une subjectivité impérieuse, dans un univers où la rationalité et le bon sens devraient être de mise. N’oublions pas que ce président nous a promis, comme ses prédécesseurs, une France unie, rassemblée mais que jamais, lors de son départ, elle ne sera plus fracturée.
Sans disposer de toutes les lumières, je n’ai pas l’impression qu’en Europe, il ait suscité une adhésion admirative, cette dernière ne pouvant provenir que d’actes et de propositions objectivement pertinents. Emmanuel Macron engendre au contraire l’hostilité de certains pays à cause d’une affirmation trop élogieuse et surestimée de soi et de son rôle. L’affront du Maroc refusant l’aide de la France, malgré un désastre humain et matériel incommensurable et l’acceptation du soutien d’autres pays, ne relève sans doute pas seulement d’une exclusive considération de la France pour l’Algérie mais de la dégradation des modalités personnelles de relations qui, longtemps, au-delà de l’urbanité diplomatique, pouvaient être qualifiées (sans illusions toutefois) d’amicales. La récente débandade africaine, tant au Mali qu’au Niger et au Gabon, avec la crainte d’autres bouleversements, n’est-elle pas liée en grande partie au tempérament de notre chef d’Etat qui a souvent une posture à contre-temps – il se cabre quand il faudrait feindre de plier, il se soumet lorsque la résistance serait bienvenue ?
Moi, moi, moi…
Les épisodes qui, dans une quotidienneté et un climat démocratiques, démontrent l’irrésistible intrusion de son « moi », sont multiples. Par exemple, l’invention de ces gadgets liés à de la pure communication : le Conseil national de la refondation, les conventions citoyennes et tant d’autres billevesées qui n’ont absolument pas pour vocation d’être utiles à la République mais seulement de projeter la lumière sur leur concepteur. Avec une volonté forcenée de fuir les processus ordinaires, notamment parlementaires, parce qu’ils contredisent l’expansion de soi (malgré le soutien d’un groupe inconditionnel) à cause de cette déplorable majorité relative… L’abus du 49-3 est la revanche, aussi constitutionnelle qu’elle soit, d’un ego contrarié.
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On verra si « les Rencontres de Saint-Denis » entrent dans la catégorie des aréopages inutiles, faussement consensuels, visant à flatter leur initiateur ou si elles auront des conséquences opératoires : en tout cas LR a décidé d’être optimiste.
Jamais peur du ridicule
Ses voltes seraient amusantes si elles ne révélaient pas que la seule certitude d’Emmanuel Macron est qu’il vaut plus que les autres et que donc ses embardées ne sont jamais ridicules puisqu’elles émanent de lui ! Ainsi, il fait exclure d’abord de l’arc républicain, sur le plan parlementaire, LFI et RN avant de décréter, les Rencontres passées, qu’il « faut associer toutes les forces politiques, y compris les extrêmes. Il ne faut pas les boycotter mais les affronter les yeux dans les yeux ». Qu’importe que la grandiloquence succède au mépris et que le point de vue ait radicalement varié : ce qui compte est la seule unité apportée par l’arbitraire du président !
Pour rejoindre des moments plus dérisoires, comment apprécier l’intervention d’Emmanuel Macron venant, avant le début de la Coupe du monde, encourager au nom du pays l’équipe de France, autrement que comme la prestation un zeste ridicule d’une personnalité incapable de rester à sa place, Emmanuel Macron se prenant quelques minutes pour Fabien Galthié ! Il est navrant de constater que l’intelligence n’apprend pas la réserve : parfois elle l’empêche. Dans le même ordre, qu’avait-il besoin d’introduire de force son « je » avant le début du match France-Nouvelle-Zélande, dans la proclamation de l’ouverture d’une Coupe du monde, alors que son silence aurait eu infiniment plus d’allure que cet ostentatoire exhibition de soi ? D’où les huées et les sifflets – qui n’ont certes pas donné au monde une belle image du lien de la nation avec son président – explicables par le sentiment collectif d’une forme de surabondance… Je pourrais continuer mon analyse par la relation d’autres épisodes graves ou futiles qui tous placent le caractère du président au centre du jeu parce que son « je » ne conçoit pas de s’effacer, même pour les causes que sincèrement il défend. Ce tempérament « too much » qui l’incite sans cesse à sortir du cadre, à rompre l’équilibre délicat entre l’exercice de la fonction et le narcissisme du rôle, qui fait de lui un des présidents les plus autoritaires et solitaires (ce qui va de pair) de la Ve République, lui est propre. S’il fallait tenter une comparaison, il n’aurait pas été absurde de songer à Nicolas Sarkozy (qui a été aussi « too much »), mais il me semble que chez lui l’excès, les débordements, se rapportaient plus au besoin d’action et à son énergie qu’à la dilection de son être. À lire ce billet, j’espère échapper au grief lassant de ne m’intéresser qu’à la personnalité de nos présidents, aujourd’hui d’Emmanuel Macron. Pour celui-ci, rien n’est compréhensible sans les ombres et les lumières de son être, sans l’implacable fatalité qui le conduit à confondre le légitime pouvoir qui lui est dévolu avec le narcissisme impérieux et superfétatoire dont il se repaît. Si Emmanuel Macron est souvent mal-aimé, c’est à cause de cette méprise.