Notre contributeur refuse le magistère analytique des médias de gauche, et avance d’autres hypothèses.
On a beaucoup entendu, ces derniers mois, en particulier dans la bouche d’Eric Zemmour, cette splendide formule (parmi mille autres) de Philippe Muray selon laquelle « Les bien-pensants ne dérapent jamais, ils sont la glace[1] ». En fait, on pourrait remplacer « bien-pensants » par « la gauche ». Et il en va des dérapages comme de la récupération.
Récupérer, c’est analyser un fait d’une façon trompeuse, lui faire dire ce qu’il ne dit pas, tirer de lui des conclusions au mieux stupides, au pire détestables. Dès lors, la gauche ne peut pas récupérer puisqu’elle est le bien, le bon, le juste, la vérité. Elle a le monopole de l’analyse des faits parce que tous les faits, dans la logique de la gauche, s’inscrivent – pour le soutenir ou le brider, elle-même ayant pour mission de courir toujours plus vite derrière lui – dans le sens de l’histoire. La gauche vit en vase clos ; toute idée qui ne vient pas d’elle est suspecte par définition. Dans le champ politique, la gauche rejette ainsi, par principe, des tas de sujets, qu’elle juge indignes de figurer à la table du débat. A l’agenda de la démocratie, seules les lubies de la gauche méritent qu’on s’écharpe. C’est bien sûr le cas de l’écologie, véritable religion des « citoyens du monde », à la vaniteuse échelle des mondialistes, capables de dire sans rire qu’ils veulent « sauver la planète ». C’est aussi le cas des violences-faites-aux-femmes. C’est également le cas, évidemment, du racisme. Fille du libéralisme, des Lumières, la gauche est d’abord matérialiste. Comme le libéralisme, elle réduit l’Homme à ses conditions d’existence. L’économie est donc sa grande affaire ; tous les phénomènes sont, pour elle, plus ou moins liés au modèle économique. Quand on parle d’immigration à la gauche, elle soupire : elle, elle est passée à autre chose depuis longtemps, elle ne comprend sincèrement pas comment on peut encore, « au XXIe siècle non mais oh », enkyster le débat avec des délires de ce genre alors que les cactus sont en danger, que des « exilés » se noient en mer Méditerranée, que les tampons hygiéniques ne sont pas gratuits « pour tous.tes ». Et d’ailleurs, au fond, dit la gauche, ça n’intéresse pas les « vrais gens ». Si tant de gens sont apparemment obsédés par l’immigration, ce n’est pas parce qu’ils en souffrent mais uniquement parce que des partis – qui devraient être interdits – et des médias – qui devraient être interdits aussi – manipulent les masses à l’aide de fake news et de la post-vérité, deux concepts plus cons l’un que l’autre, qui sentent bon les chercheurs dépressifs des UFR de sciences humaines.
Macron pas prudent
Vendredi soir, Macron a fait un discours, au Stade de France, pour lancer la Coupe du monde de rugby. Il avait été plus prudent au printemps lors de la finale de la Coupe de France de foot. Snobant la ridicule tradition qui veut que le président de la République vienne serrer la main des joueurs sur la pelouse avant le coup d’envoi, le meilleur ami de McKinsey et de Uber avait fait ça dans les couloirs du stade, à l’abri des huées. Cette fois, par orgueil, mais aussi peut-être pour contrebalancer aux yeux du monde, à la veille des Jeux Olympiques, la lamentable impression laissée par l’organisation (à la one again et décidée par lui seul, pour suppléer l’Ukraine qui devait initialement l’accueillir) de la finale de la Ligue des Champions 2022 entre le Liverpool FC et le Real Madrid, durant laquelle des hordes de racailles du 9-3 avaient agressé des supporters des deux clubs et réussi à forcer les portiques de sécurité, il a voulu prendre la parole.
A lire aussi, Gabriel Robin: Quand la gauche française fait une syncope devant la Coupe du Monde de rugby
Emmanuel Macron pensait aussi sans doute, et justement, que la sociologie des supporters de rugby est différente de celle des aficionados de foot. Pour le dire simplement, le rugby est un sport de droite. Au nord de la Loire, c’est un sport de bourgeois ; c’est moins vrai dans le Sud-Ouest, où il est le sport le plus populaire et d’abord celui des agriculteurs – qui peuvent être aisés –, des villages. On ne trouve pas, au rugby, la diversité si présente dans le foot. Libération ne devrait pas tarder à s’en émouvoir, lui dont les commissaires politiques, pardon, les journalistes aiment rien tant que compter les Blancs dans les équipes – il ne lui reste plus qu’à faire de même avec sa rédaction, affreusement white. A Toulouse, La Mecque du rugby, le supporter-type du Stade, c’est un étudiant en médecine ou école de commerce, qui kiffe pas trop les Arabes, qui passe ses week-ends à enquiller les pintes place Saint-Pierre. Ce mec-là, tandis que les cégétistes et les hippies du Mirail manifestaient contre la réforme des retraites, il était dans le grand jardin de la grande maison de ses parents, à Saint-Gaudens ou Lectoure. Il s’en battait les roustons. Lui, il rêve d’un semestre aux Staïtes, de « petites » à sauter, de ses prochaines beuveries. Les crève-la-faim, les mecs aux cheveux longs, toute cette engeance qui manifeste et casse, ça ne le concerne pas.
La sociologie des supporters de l’équipe de France de rugby est légèrement différente de celle des supporters de clubs. Elle est plus large. N’empêche, autour de lui au Stade de France, vendredi, Macron avait pour l’essentiel des électeurs de droite. Lesquels ne furent certainement pas les plus grands contempteurs de la réforme des retraites. Lesquels ont toujours été et demeurent beaucoup plus à droite que leurs risibles chefs et qui ont d’ailleurs massivement migré, au printemps 2022, vers Zemmour – ce qui explique statistiquement le résultat ridicule obtenu par la catastrophique Valérie Pécresse.
Les « vrais sujets » de l’électorat de droite
Certes, selon la gauche, il ne s’agit pas de « vrais sujets », mais pour les électeurs des Républicains, l’immigration, l’islam, le changement de sexe, l’insécurité, le mariage gay, l’alignement permanent de la France sur les Etats-Unis en matière de politique étrangère, c’est très important. Et ils haïssent littéralement Macron à cause de l’espèce de liquidation de la France qu’il entreprend depuis 2017. Il est donc fort peu probable que les huées qui ont accompagné Macron, vendredi, traduisent une opposition à la réforme des retraites et l’usage du 49.3. Ces huées interviennent en plus au moment où, voulant justement cyniquement satisfaire le centre-droit, le gouvernement vient d’interdire le port de l’abaya à l’école. Et où, dans les sondages, 80% des Français – et donc probablement 99% des électeurs de LR – disent être d’accord avec cette mesure – mais où, sur les plateaux, 80% des invités sont opposés à cette interdiction…
Sur ces mêmes plateaux, invités à commenter les huées du Stade de France, tous les politiciens de gauche et tous les éditorialistes libéraux étaient bien d’accord pour décréter qu’elles étaient, ces huées, la continuation des manifestations du printemps dernier par d’autres moyens – elles étaient aussi, bien sûr, un symptôme de la « crise démocratique » traversée par le pays, c’est-à-dire, pour la gauche, une demande de démocratie participative, c’est-à-dire la démocratie à la portée des boomers qui confondent politique et quelque chose entre le syndic et le café philo.
A lire aussi, Didier Desrimais: Ségolène Royal et Sandrine Rousseau sont dans un bateau… et coulent (avec) la gauche
Sur les réseaux sociaux, les députés LFI qui, issus pour l’essentiel de région parisienne, ne doivent même pas savoir ce qu’est un en-avant, ont jubilé : ces huées étaient la Révolution pourchassant le despote ! On pourrait tout autant affirmer que la réaction du public est une réponse à la politique migratoire de Macron. Oui, il est fort possible que ces dizaines de milliers de gros blancos venus soutenir ce XV de France si peu inclusif, avec des types qui s’appellent Thibault, Romain et Antoine, et des blazes qui sentent bon la naphtaline, comme dirait L’Obs, que ces gros blancos, donc, ont pensé à la pauvre Mégane, de Cherbourg, violée et torturée par un jeune détraqué sexuel d’origine immigrée déjà connu des services de police et de la justice[2] – et qui donc, comme la jobarde qui a massacré la petite Lola[3], n’avait rien à faire dehors, ou aurait dû être expulsé de France – dans les deux cas, l’Etat français est donc coresponsable et ses dirigeants devraient être punis. Mais ça, il ne s’est trouvé personne pour le dire sur les plateaux.
Refuser le magistère analytique de la gauche
La récupération de et par la gauche est tellement naturelle, ancrée dans les esprits, que nous n’osons même plus la contester.
Or, il faut justement commencer par ça : refuser le magistère analytique – si j’ose dire – de la gauche. Celui qui lui permet de dire que la mort de Lola, c’est d’abord un problème de moyens donnés à la psychiatrie en France, le terrorisme islamique, le cri de détresse de jeunes gens discriminés, la surreprésentation des Français d’origine africaine ou orientale dans les prisons, une conséquence de la précarité et d’un apartheid géographique. Il faut également refuser sa terminologie, sa propension pathologique à inventer des mots et à en mettre d’autres à l’index. Les huées du Stade de France ne lui appartiennent pas davantage que les gilets jaunes, qu’elle a récupérés de la même manière, s’imposant dans les manifestations, imposant dans celles-ci ses revendications folkloriques, tuant ce sublime mouvement politique en le transformant en sinistre mouvement social, avec les longues cohortes immobiles de retraités de l’Éducation nationale militant chez RESF. Ces huées venaient de la vraie droite. Et ce n’est pas pour le minable « pouvoir d’achat » que celle-ci se bat, mais pour que survive notre civilisation.
[1] Grand lecteur de Muray, je confesse que je ne la connaissais pas, celle-là. Et d’ailleurs Internet en donne des versions différentes.
[2] Son père vient de déclarer à la radio Hag’FM : « Ne pas communiquer sur cette agression donne du crédit à tous ces prédateurs sexuels et autres parasites de la société qui gangrènent les rues. Une prise de conscience de la part du gouvernement sur le fait que l’on laisse ce genre d’individu, au passé judiciaire chargé, en toute liberté, serait la bienvenue. “Ayez confiance en la justice”, nous a-t-on dit… Nous ne souhaitons que cela ».
[3] https://www.causeur.fr/lola-une-emotion-detat-meurtre-recuperation-indecence-politique-245954
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !