À mi-parcours de son deuxième mandat à la mairie de Béziers, Robert Ménard dresse un bilan d’étape. Si sa ville est devenue plus dynamique et plus sûre, il reconnaît être désarmé face à la pression islamique. Inquiet pour l’avenir du pays, il déplore que le président, qui a pourtant les mains libres, n’ait pas le courage de prendre les problèmes du pays à bras-le-corps… et prend date avec les Français.
Causeur. Commençons par la féria, particulièrement réussie cette année avec plus d’un million de visiteurs, et sans incident notable (sinon quelques comas éthyliques, on suppose). Dans les arènes, on chante La Marseillaise et l’hymne occitan : quelle appartenance célèbre-t-on ?
Robert Ménard. Je dirais qu’il s’agit d’une triple identité. D’abord, une identité locale : Béziers est fière de ce qu’elle est, une ville qui a une histoire de résistance et qui n’aime pas qu’on lui marche sur les pieds –et ça me va très bien. Nous sommes aussi une ville occitane, ancrée dans une culture et une langue que peu de gens parlent encore, mais qui demeure dans les mémoires, dans l’accent, dans les expressions. Enfin, il y a l’appartenance française : à Béziers, on n’a pas le patriotisme honteux. On peut être tout cela à la fois, il n’y a pas de concurrence. J’ajoute que je me sens également profondément européen, et plus que jamais depuis l’agression russe en Ukraine !
Nous nous chamaillerons sur l’Europe une autre fois. Peut-on parler d’un girondinisme heureux ?
Absolument. Il faut respecter les provinces et leurs différences, et j’insiste sur le mot « province ». Le terme « territoire » et tout ce nouveau langage technocratique me sortent par les yeux. Il est grand temps de décentraliser à fond ce pays. De redonner du souffle ; je me demande même s’il ne faudrait pas en finir avec Paris capitale de la France…
Comme vous y allez ! Vous défendez la corrida avec humour et pugnacité[1]. Pourtant, si vous n’étiez pas le maire de Béziers, vous n’iriez sans doute pas aux arènes…
Je l’ai toujours dit, je défends absolument la corrida, même si je ne l’aime pas totalement. Je suis végétarien : pas pour la santé ou pour l’écologie, c’est un choix moral lié à mon rapport très particulier aux animaux. Mais la corrida fait partie de ce qu’on est dans le Midi. La réduire à de la cruauté, c’est stupide. Et puis, je ne suis pas insensible à cette confrontation avec la mort, ce moment où le soir, sur le sable des arènes, des gens risquent leur vie. Le courage est sûrement la vertu qui nous manque le plus ! Qu’on ne nous empêche pas de la célébrer !
C’est ça la France : ne pas toujours partager les opinions, les goûts et la morale des uns ou des autres, et pourtant garantir leur droit de les défendre. L’attitude par rapport à la corrida est un bon test de l’esprit voltairien.
Qui est de moins en moins répandu. Exemple, le gouvernement veut interdire Civitas après des propos antisémites tenus par un conférencier. Et il y a aussi des gens qui réclament quasiment l’interdiction de LFI.
C’est une absurdité. Ce que dit le type de Civitas (sur les juifs qui pourraient ne pas être vraiment français), c’est de la connerie en barre. Quant à LFI, vous imaginez ce que je pense des foucades ahurissantes de Mélenchon et de ses sbires, mais je n’imaginerais pas un instant de m’en prendre légalement à eux. Quand j’étais à Reporters sans frontières, j’allais chercher dans des prisons africaines des gens avec lesquels je n’avais pas l’ombre d’un accord. La montée générale de l’intolérance m’effraie.
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Comment se sont déroulées les émeutes à Béziers ?
Les pillards ont beaucoup sévi à La Devèze, quartier où j’ai vécu et qui est pudiquement dit « difficile » – plus pauvre que la plupart des autres et majoritairement issu de l’immigration. J’ai eu accès aux images des caméras de vidéosurveillance et je suis atterré : la plupart des émeutiers sont des gamins, certains âgés de 12 ou 13 ans. Ils se contrefoutent de Nahel. Figurez-vous qu’avant de brûler la maison de quartier, ils ont cassé et vidé le distributeur de barres chocolatées… Ils ont aussi détruit la mairie de quartier : maintenant, leurs familles sont obligées d’aller en cœur de ville pour faire leurs papiers. Cela traduit une haine de ce pays sidérante !
Comment expliquer que des Français de troisième ou quatrième génération se sentent moins français que leurs parents ou grands-parents ? Ne sommes-nous pas paralysés par notre bonne conscience humaniste, face à des gens qui ne respectent que la force ?
On trouve toujours des excuses, et la pauvreté sert d’excuse à tout. Il existe une France bien plus pauvre que ces quartiers-là, où il ne se passe rien de tel. Nous en sommes collectivement responsables parce que nous laissons tous passer des choses qu’on ne devrait jamais laisser passer. Il y a quelques semaines, on a inauguré une école à La Devèze et j’ai tenu à ce qu’elle s’appelle Samuel Paty. Pendant les discours, les gamins du quartier ont mis un souk invraisemblable, et personne ne leur a rien dit : ni les institutrices, ni le préfet ou la rectrice, ni moi !
Pourquoi ?
Je ne voulais pas faire de leçon de morale, et encore passer pour le méchant : j’en ai marre de gueuler tout le temps. Malheureusement, cet état d’esprit finit par gagner tout le monde. Il faut prendre sur soi pour dire non. Pour la rentrée scolaire, je me rends toujours dans des classes. Dans le public, il est peu fréquent que les enfants, et même que les instituteurs et les institutrices se lèvent. J’ai 70 ans, je suis le maire de la ville et on ne se lève pas quand j’entre dans la classe !
Ce renoncement à l’autorité va de pair avec notre répugnance à recourir à la force…La police n’en fait usage que quand une vie humaine est menacée. Mais elle ne protège plus les biens. Les assurances paieront.
La police fait ce qu’elle peut. Aujourd’hui un policier a peur de faire usage de son arme tant il craint de se retrouver sur le banc des accusés. Les forces de l’ordre sont corsetées par les droits des délinquants qui bénéficient de toutes sortes de protections quand ils sont interpellés. Ce ne sont pas les bavures policières qui m’étonnent, mais le fait qu’il n’y en ait pas davantage ! Je me demande comment les policiers gardent leur calme. « C’est notre métier », disent-ils. C’est leur métier de se faire insulter, agresser, caillasser ? Évidemment, je n’applaudis pas quand un policier commet une faute, mais je garde en tête que l’immense majorité d’entre eux se comportent de façon exemplaire.
D’où peut venir la reconquête, si vous me permettez cette taquinerie sémantique ? De l’État ?
En tout cas, nous ne devons pas laisser les juges européens (que ce soit ceux de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’UE) nous dicter notre conduite. La CEDH a condamné la France, parce qu’il y a des caméras dans les centres de rétention administrative. Mais j’espère bien qu’on surveille et qu’on écoute ce qui s’y passe! Chez nous, les Défenseurs des droits successifs sont des cinglés. Rappelez-vous Toubon, un homme fort raisonnable. Quand il est devenu Défenseur des droits, il s’est comporté comme le plus caricatural des gauchistes. Il faut une reprise en main à tous les niveaux. Je ne dirai jamais que la justice est laxiste, parce que je ne mets pas tous les magistrats dans le même panier. Mais est-il normal que ces gens-là soient syndiqués ?
L’idéologie droit-de-l’hommiste est aussi répandue chez les Français et leurs représentants démocratiquement élus…
Elle est souvent le déguisement de la lâcheté. Après les émeutes, Emmanuel Macron a invité des élus. Au bout d’une heure, le mot « immigration » n’avait pas été prononcé : les maires parlaient de « politique de peuplement ». J’ai donc fait l’idiot et demandé de quoi il s’agissait. Voulaient-ils, par hasard, parler d’immigration ? Frissons dans la salle. J’avais blasphémé. Je ne réduis pas la France à la question migratoire, mais ne pas aborder le sujet, c’est être un faux-cul de première.
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Mais c’est le président qui nie tout lien entre les émeutes et l’immigration, tout en expliquant que, puisque les immigrés posent des problèmes, on va en mettre partout.
Emmanuel Macron est intelligent, mais il manque singulièrement de colonne vertébrale. Je ne comprends pas : cet homme est un phénomène, il a été président de la République avant 40 ans. Il est réélu, il a tout pour renverser la table et marquer l’Histoire. Si j’étais lui, je serais iconoclaste jusqu’au bout des ongles. Prenez la question de l’Éducation nationale : s’il croit en ce qu’il dit, qu’il prenne les choses à bras-le-corps ! Il faut revenir aux fondamentaux ? Chiche, consacrons la plus grande partie du temps scolaire au français et aux mathématiques. Au lieu de cela, il est prévu à la rentrée une sensibilisation à l’écologie, une initiation au permis de conduire, un apprentissage de la diététique, sans oublier l’éducation artistique et culturelle…
Culturellement, Emmanuel Macron est l’homme d’un monde post-national. Il ne croit plus à la nation.
Je n’en suis pas certain : il a fait sur la nation des discours de grande tenue. Mais il est dans la situation du roi Henri IV : il dirige une France divisée en communautés qui se regardent en chiens de faïence. Avec des modes de vie et des croyances très différents. Et que fait le chef de l’État ? Il nous ressort son sempiternel « en même temps ». Je le crois capable de mener une grande politique, mais il n’en a ni l’audace ni le courage. Quel gâchis !
Au début de l’été, vous avez refusé de marier un Algérien sous OQTF, donc en situation irrégulière, à une Française. Trois députés LFI vous ont dénoncé au procureur.
Des associations ont aussi porté plainte, de même que le monsieur et la dame concernés. Lorsque j’ai reçu cette dernière en privé, le jour prévu pour son mariage, je m’attendais à des trémolos sur le thème « il est mon grand amour, vous bousillez ma vie ». Que nenni ! Ça, elle l’a gardé pour la presse. Face à moi, elle a cité des articles de la CEDH et tenu un discours formaté, idéologique, qui semblait dicté mot à mot par des militants. Reste qu’à Béziers, 95 % des gens que j’ai croisés, y compris chez les Maghrébins, m’ont félicité pour cette décision. Et j’ai été soutenu bien au-delà de Béziers. Le préfet a été formidable et Gérald Darmanin a promis que la loi immigration règlerait ces situations ubuesques : on ne peut pas me demander de signer un papier officiel devant un homme dont la loi française exige qu’il ne soit pas devant moi.
« Exiger » comme vous y allez. On « invite » les gens sous OQTF à bien vouloir quitter le territoire …
Reste qu’il a été expulsé. Le consulat algérien n’a pas voulu délivrer de laissez-passer consulaire, mais il n’est nécessaire que lorsqu’on n’a pas de preuve formelle de la nationalité. La préfecture possédait son passeport, qui avait été confisqué, donc il a été mis dans l’avion et basta ! Donc, quand on veut, on peut.
La suite demain
[1] « Les anti-corrida, je n’ai pas de problème avec eux, ils peuvent manifester. Il faut juste qu’ils ne nous emmerdent pas », a-t-il récemment répondu à un journaliste.