Né un 9 septembre, Claude Nougaro aurait eu 94 ans aujourd’hui. 94 ans ça ne se fête pas. Surtout pour lui, absent des ondes, des hommages et des vénérables références. Trop sauvage, trop provincial surtout. Et pourtant. Sa contribution aux générations d’artistes qui ont suivi est balèze. Avec Gainsbourg, il a fait swinguer la langue française sur des rythmes et des sons qui, avant eux, paraissaient incompatibles. Quand Gainsbourg stylisait les mots à la pointe de son fusain, Nougaro les bousculait à la truelle. Il en a cassé des briques et accumulé des tuiles, le maçon cathare. À construire une œuvre monumentale. Pensées sur lui.
D’un stock de granit caché dans la roche
Sort des mots estampillés gros gibier,
Durs à l’impact ils frappent sans pitié
Donneurs de leçons et sonneurs de cloche
Au fond d’un verre de jazz l’âme du poète,
La main du boucher l’instinct de la bête,
Dans un bordel tenu par une baronne,
Le smoking fini au fond d’la Garonne
Son style tombé d’une caisse de munitions,
Pas pour les grives, pour la Révolution,
Est fort en métaphores de chercheurs d’or,
D’épices sauvages à faire bander les morts
Le swing a les secousses d’un tonneau ivre,
La plume se plie aux bagnards de la mer,
De ceux qu’on vénère pour mieux les faire vivre,
Dans l’intimité avant de se taire
Le cuir épais a l’humeur volatile,
Il picore pas la nuit du bout des lèvres,
Il la dévore, la mâche sans ustensile,
De ses doigts tordus gagnés par la fièvre
Il s’écoute en manque de viande, de fer,
Assis à Rungis entre les palettes,
Steak cathare désossé à la machette,
Éclairé par l’néon du frigidaire
Clochard céleste, ange d’impasse,
Il compte ses pieds sur les toits,
Ses doigts vont laisser une trace
De blues, sur l’hermine des rois
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