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Le Canada a la nostalgie du confinement

La correspondance québecoise de Jérôme Blanchet-Gravel


Le Canada a la nostalgie du confinement
Un Canadien opposé à la vaccination devant des policiers, arbore une casquette "Fuck Trudeau", Ottawa, 19 février 2022 © Justin Tang/AP/SIPA

Le pays est devenu le laboratoire de l’utopie sécuritaire, le plus grand safe space au monde


Le Covid-19 a accouché de sociétés habitées par un puissant besoin de sécurité. Nous sommes entrés dans un monde où « chaque petit geste compte », où un ensemble de petits rituels sert à nous rassurer en fournissant un cadre à notre vie. Nous sommes tenus d’agir au quotidien pour prévenir des catastrophes, les yeux rivés sur les colonnes de chiffres des « experts » et des gouvernements. Il ne faut plus produire à l’infini, mais prendre conscience des limites qui auraient dû baliser notre existence bien avant la première vague.

Le temps des peurs

Ce « temps des peurs », décrit par le sociologue Michel Maffesoli, nourrit une vision apocalyptique où le moindre phénomène météo est interprété comme le signe de la colère des dieux. L’arrivée de l’automne suffit à provoquer des réflexes d’isolement face à son propre milieu vu comme une menace virale. Il faut se soumettre au pouvoir pour recevoir sa protection en retour, comme un serf vis-à-vis de son seigneur.

C’est l’omniprésence de la santé publique dans une civilisation désenchantée qui ne sait plus sur quoi se rabattre pour donner un sens à la vie des gens, c’est la mise en spectacle d’une planète qui brûle et qu’on doit restaurer pour notre sûreté. On ne défend plus la nature pour elle-même, en tant que valeur en soi méritant notre estime, mais pour nous. Il s’agit souvent moins de protéger les écosystèmes que de prévenir « l’éco-anxiété » et la saturation des hôpitaux. La pollution atmosphérique et les canicules font grimper la mortalité. Le discours ambiant trahit ce lien étroit entre santé et environnement.

Le safe space canadien

Si la plupart des pays occidentaux adhèrent à cette vision du monde à travers leurs institutions, le Canada est à l’avant-garde de cette utopie sécuritaire peut-être encore plus forte que l’idéologie multiculturaliste intégrée à sa constitution. Grande banlieue froide et édulcorée des États-Unis, il fait figure de laboratoire. Par sa nature tranquille et son goût pour les choses bien ordonnées, le Canada était sans doute plus prédisposé que les autres à embrasser cet imaginaire technocratique et aseptisant. De nombreux programmes publics participent au « sacre des pantoufles » analysé en France par Pascal Bruckner.

A relire, du même auteur: Expulsé d’un bar pour mes opinions politiques

Avec les courants « progressistes » en vogue, il s’agit de participer à la construction du safe space global, de ce grand espace capitonné où nous pourrions enfin vivre à l’abri de tous les risques et périls. Le risque zéro devient le nouvel idéal. Il s’agit de prévenir toutes les « micro-agressions » imaginables, des allusions « racistes » ou « transphobes » à la « pollution sonore » en passant par le smog. La notion de safe space est née sur les campus américains dominés par le wokisme. À l’origine, elle désigne un espace idéologiquement pur sans contradicteurs, mais au Canada, elle a été étendue de manière à inclure une grande variété de phénomènes à proscrire.

La nostalgie du confinement

Le but n’est plus seulement d’éliminer le virus de l’Occident colonialiste, mais d’assurer un vivre-ensemble sécuritaire. L’individualisme est exacerbé au point que tout semble tourner autour de l’égo de la personne victime de son environnement, de la société-violence. La nostalgie du confinement nourrit l’intolérance aux autres. Dans cette ambiance de repli sur soi apparaissent chaque semaine dans l’actualité des histoires invraisemblables. Par exemple, en janvier 2023, la ville québécoise de Gatineau a annoncé avoir élaboré un plan d’action pour contrer « l’usage excessif » du parfum, prétextant vouloir protéger les personnes souffrant d’une « hypersensibilité environnementale ».

À l’hiver 2022, l’épisode du convoi de camionneurs opposés aux mesures sanitaires a aussi été révélateur de cet état d’esprit, et par le fait même, du rejet d’une certaine vitalité démocratique parfois quelque peu chaotique. Durant le « siège d’Ottawa », les klaxons des camionneurs rassemblés devant le parlement ont été présentés comme de la violence symbolique, sinon comme une attaque en règle dirigée contre les résidents de la capitale, en majorité fonctionnaires. Il faut vivre loin des tranchées et des canons, dans une société passablement tiède et confortable pour avoir le luxe de présenter le tintamarre produit par des manifestants comme une insupportable atteinte au bien-être de la population.

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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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