Dernière enclave afrikaner à refuser la fin du régime sud-africain de ségrégation raciale, Klenfontein est désormais menacée d’être incorporée à la métropole de Tshwane (Pretoria) en raison de profondes divisions au sein de son comité de direction.
Lorsque le régime de ségrégation raciale prend fin en Afrique du Sud en 1994, certaines familles Afrikaners décident de se réunir en coopérative, achetant collectivement des hectares de terres afin de s’y établir et préserver ainsi leur mode de vie traditionnel. Plusieurs villes vont alors surgir de terre et s’ériger en pseudo-républiques indépendantes sans que le nouveau pouvoir n’entende remettre en question ces incongruités administratives. Kleinfontein est une de ces villes parmi tant d’autres et ne fait pas exception à la règle. Située à l’est de Pretoria, elle s’est rapidement développée et compte aujourd’hui plus de 1500 habitants qui vivent comme « au bon vieux temps ».
Au premier regard, rien ne la distingue des autres bourgades. Si ce n’est que ses résidents sont tous des Afrikaners pur jus, descendants des premiers Européens qui ont colonisé cette partie de l’Afrique australe. Condition sine qua non pour résider dans ce volkstaat dont l’accès est protégé par un imposant portail gardé par des hommes armés. Ici, vous ne trouverez pas un seul Africain cohabitant avec les blancs. Au centre de la ville, des statues du président Paul Kruger et du Premier ministre Hendrik Verwoerd accueillent les habitants. Deux héros du panthéon afrikaner symbolisant à la fois la résistance et la tragédie d’un peuple chahuté par les affres de l’histoire. Le lieu de Kleinfontein n’a pas été d’ailleurs choisi au hasard par ses membres fondateurs, puisque c’est sur cet emplacement que s’est déroulée une importante bataille entre Anglais et Afrikaners lors de la guerre Anglo-boer, en juin 1900. C’est aussi là que le général Manie Maritz a orchestré sa rébellion contre le gouvernement sud-africain en 1914. Tout est dans la symbolique dans cette république hors du temps.
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La ville est gérée par Jan Groenewald depuis trois décennies. C’est un boer au pedigree politique éloquent. Ancien adhérent du Herstigte Nasionale Party (Parti National réunifié) et de l’Afrikaner Weerstands Beweging (Mouvement de résistance afrikaner), deux partis d’extrême-droite indissociables de la vie politique sud-africaine, c’est un partisan acharné du régime d’Apartheid. Il a même fini par fonder son propre mouvement radical qui a su trouver son public dans une terre largement acquise au conservatisme blanc. « Kleinfontein a été fondée avec de bonnes intentions ; un endroit où principalement des retraités pourraient vivre ensemble en sécurité et en harmonie. Elle met l’accent sur la culture et le christianisme afrikaner, où les résidents peuvent célébrer comme profiter de leur foi et de la tradition afrikaner », reconnaît un habitant de la ville, Paul McMenamin, interrogé par le média en ligne Ground Up. Mais ce qui ressemble de loin à un havre de paix pour nostalgiques du développement séparé et adeptes du tout sécuritaire, est désormais menacé par une partie de ses habitants qui ne se retrouvent plus dans la gestion de Kleinfontein.
Les membres de la Kleinfontein Residence Association (KRA) ont porté plainte contre la direction de l’entreprise Kleinfontein Aandeleblok (Pty) Ltd qui gère les services de la ville, dénonçant de potentielles malversations financières. Dans des documents de 2022, transmis au tribunal compétent, l’entreprise s’est défendue en affirmant que l’association tentait de « saboter » le système mis en place et démentait les allégations portées contre elles. Des accusations qui ont contraint plusieurs habitants à cesser de payer leurs cotisations (prélèvements et redevances pour services) à l’entreprise, comme l’affirme Ground Up. Pis, le volkstaat n’étant pas reconnu comme entité administrative autonome, les nouveaux habitants qui ont fait construire de somptueuses maisons, auraient découvert qu’ils n’étaient pas réellement propriétaires de leurs biens et qu’ils ne pouvaient donc pas les revendre le cas échéant. « Kleinontein a été développé sur des terres agricoles et il n’y a jamais eu de demande réelle d’officialisation de la colonie. Il s’agit donc pratiquement d’une colonie illégale » admet Paul McMenamin. « Je suis un agriculteur et un homme d’affaires à la retraite. Je n’ai pas reçu de titre de propriété et cela m’a beaucoup affecté. Je fais partie de ceux qui ont initié ce procès et nous voulons vraiment que cet endroit soit enfin officialisé » ajoute Henk Celliers, âgé de 73 ans, autre résident.
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Cité comme second défendeur dans cette affaire, la métropole de Tshwane admet que le dossier est difficile. Sa porte-parole, Lindela Mashigo, a déclaré qu’actuellement, la ville ne fournit à Kleinfontein aucun service de base, comme l’électricité, la collecte des ordures, l’eau du robinet ou le traitement des eaux usées et qu’elle est de facto totalement autonome. « La communauté de Kleinfontein est installée sur des terres privées », explique Mme Mashigo qui reconnaît toutefois que « les propriétaires ont la responsabilité d’aménager ou d’officialiser le terrain conformément aux règlements d’aménagement du territoire ». Dans des documents judiciaires transmis aux avocats, la société qui gère le volkstaat a déclaré qu’elle « s’était lancée dans une campagne déterminée afin de formaliser la municipalité de Kleinfontein, finaliser les procédures incomplètes, obtenir toutes les approbations nécessaires, se conformer à toutes les exigences légales et autres, et que des progrès significatifs avaient été réalisés à cet égard ». Même « si elle n’y est pas obligée aux termes de son acte constitutif, rappelle-t-elle. Dont acte !
Mais en cas d’échec, la métropole de Tshwane pourrait arguer de l’illégalité des ventes et des constructions, forçant ainsi le volkstaat à intégrer son propre giron administratif, et mettre fin aux rêves des derniers tenants de l’Apartheid.