Tout le monde dit que la chanteuse Juliette Armanet s’est attaqué à Michel Sardou. Elle répondait en fait à la question suivante: quelles chansons lui font quitter une soirée? La réponse porte donc sur un univers musical, un univers festif, un type d’ambiance.
Il a suffi d’un petit morceau d’interview de la chanteuse Juliette Armanet pour déclencher une petite tempête dans le confort de nos vacances. Au micro du média belge Tipik, Juliette Armanet avoue : elle n’aime pas les Lacs du Connemara, c’est « immonde », c’est « sectaire », c’est « de droite », c’est « scout », « rien ne va ». Les réactions enfiévrées s’enchaînent : qui est cette péronnelle pour condamner ainsi Sardou, ce vieux briscard de la chanson populaire ? Qu’est-ce que c’est encore que ces gens de gauche qui critiquent le goût du peuple ? La musique d’Armanet serait-elle si supérieure à celle de Sardou qui serait affreuse ? Les Lacs du Connemara seraient en réalité l’hymne de la France moisie ?
La droite insultée par la bobocratie
Et tout le monde de voler au secours de Sardou : d’une part sa carrière parle pour lui, d’autre part ses Lacs du Connemara sont, qu’on le veuille ou non, une chanson culte, installée dans les us festifs transgénérationnels et transpolitiques. Pour enfoncer le clou, l’excellent Étienne Guéreau expose sur sa chaîne YouTube (@PianoJazzConcept) une analyse plaidant pour la supériorité d’écriture musicale de Sardou sur celle d’Armanet. A priori, Sardou 1, Armanet zéro. Un point pour une certaine droite, ravie de monter au créneau pour défendre victorieusement son bastion culturel insulté par la bobocratie.
Pourtant, ce que pointe Armanet est un problème loin d’être aussi anecdotique qu’il en a l’air. Derrière la légèreté de son interview, ce qu’elle condamne en critiquant la chanson de Sardou désigne très justement un véritable problème culturel français plus vaste qu’une simple chanson.
La qualité d’écriture des Lacs importe peu. Le bord politique de Sardou n’importe pas davantage. Ce qu’Armanet condamne en réalité à travers les Lacs du Connemara, c’est le paysage culturel des gens de droite. C’est une certaine galaxie artistique qui donne sa couleur aux rassemblements festifs du pays droitard. Et cette galaxie artistique de DroiteLand, ne nous voilons pas la face, est d’une terrifiante pauvreté. Elle est hantée par les mêmes rengaines qui tournent en boucle. Moi-même qui suis un droitard lorgnant vers le royalisme, je suis absolument effaré par l’indigence culturelle de mon propre bord idéologique. Sardou, okay, c’est Sardou. Mais Sardou tout le temps, systématiquement, répétitivement, rituellement, en boucle, c’est un peu la nausée. Ses violonnades sentimentales, ses choristes qui font des « aaaaaaaaaah » et des « oooouuuuuh » en ondulant des bras, l’incompréhensible absence d’une authentique cornemuse quand il interprète les Lacs sur scène, merci mais non merci.
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Une fête chez DroiteLand, c’est l’enfer. Il y aura la même playlist, prévisible, resucée, recyclée, éculée, reproduite à l’infini. Il y aura l’Aventurier. Il y aura Partenaire Particulier. Il y aura New York avec toi, la Peña Baiona, Alexandrie Alexandra, la litanie canonique et académique des hits des rallyes toujours recommencés, et tout ce fatras photocopié jusqu’à épuisement s’achèvera, donc, dans la sueur clanique et extatique des Lacs du Connemara avant l’extinction des feux !
Paresse du goût
Armanet a raison : DroiteLand croupit dans un marasme musical où les mêmes figures surnagent éternellement dans un bouillon au goût inchangé depuis plus de cinquante ans. C’est fatigant. Et c’est consternant, parce que tout cela pue le manque maladif de curiosité artistique. C’est toujours les mêmes qu’on va chercher. Un air de techno passe, et DroiteLand danse un rock de salon. Systématique. À quel moment on décide que le rock se danse sur de la techno ? Que se passe-t-il pour que DroiteLand soit devenu aussi pouêt-pouêt, aussi académique, aussi pompier, aussi peu intéressé par la chose artistique nouvelle, fut-elle pop ?
J’aime bien Éric Zemmour, mais enfin qui a eu l’idée de mettre en musique ses meetings avec la musique ultra lourdingue de Thomas Bergersen ? Dans un autre registre, Jean-Pax Méfret a sans doute de grands mérites, mais le genre grandiloquent à petit budget ne convertira aucun gauchiste à la cause patriotique. Jamais.
Oui, le problème de DroiteLand, pour forcer le trait, c’est que « rien ne va », et que musicalement c’est « immonde ». Cela me retourne le cœur de penser cela de mon propre camp idéologique, mais hélas c’est vrai. Je préfère mille fois écouter des canailles communistes californiennes faire de l’excellente musique punk-métal nihiliste que d’écouter d’excellentes âmes conservatrices aligner de fastidieuses rimes de collégiens mal écrites sur des mélodies anorexiques. Je ne vise personne, mais à choisir entre Vianney, les Frangines ou Frank Carter and the Rattlesnakes, j’aime autant vous dire que le choix est vite fait : je vais écouter Frank Carter and the Rattlesnakes. Je vais écouter les Sex Pistols et les Ramones, The Beths, NOFX, Salut C’est Cool, Flavien Berger, Charlotte Adigéry et Bolis Pupul, Wet Leg, ou encore cette cinglée de Poppy. Parce qu’au moins chez ces gens-là il y a du groove punchy, du transgressif joyeux, de la poétique funky, de la rage bien écrite et bien produite.
Je veux bien que Sardou bénéficie de la légitimité de son public, mais ce que signifie Sardou dépasse la seule personne de Sardou. Ce que signifie Sardou est chez les gens de droite une certaine habitude, une certaine paresse du goût, un entassement de convenances en retard de deux trains, un certain académisme de la communion musicale, une certaine indigence dans la production sonore pop, un certain avachissement du sens du Beau dans les canapés et les violons quand l’heure est à la levée des fourches et à la conquête du futur. Dans le combat culturel dissimulé dans notre petite polémique, Sardou gagne la bataille, mais Armanet gagne la guerre. Alors, devant l’échec patent et continu d’un DroiteLand incapable de créer de la surprise et du neuf, je le clame : Armanet, je suis pour.
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