Dans sa dernière chronique de l’été, Thomas Morales nous livre ses impressions sur la révolution vestimentaire qui se manifeste dans le film « La Guerre des polices », sorti en 1979, avec l’avènement du tee-shirt-roi et l’abandon du costume-cravate…
Pour ce dernier dossier de l’été, nous ne parlerons pas du fond, lutte entre directions, rivalités à la Tour pointue, méthodes barbouzardes, égo des commissaires et bastos en guise de solde de tout compte. Tout ce qui fait d’habitude le folklore policier sur grand écran. Ni du flic justicier, ni du flic lampiste, et surtout pas du déterminisme social des voyous. Nous resterons en dehors des deux pôles qui sédimentent aujourd’hui notre société médiatique: la culture de l’ordre et celle de l’excuse.
Marlène Jobert au volant d’une Renault 12 break, puissamment érotique
Nous nous éloignerons donc du propos politico-sociologico-romantique de Robin Davis, le réalisateur de « La Guerre des polices », polar musclé et légèrement surjoué, un peu périmé et crépusculaire, caricatural et néanmoins très agréable à revoir sur cette période de notre histoire gouvernementale qui précéda l’alternance à gauche. Nous nous intéresserons à la forme, au style des acteurs, à la lumière et aux automobiles disparues, par exemple à la Fiat Ritmo et au fourgon Ford Transit. D’abord, je crois sincèrement n’avoir jamais rien vu d’aussi puissamment érotique, à l’incandescence charnelle, c’est-à-dire émouvant et délicatement ébréché que Marlène Jobert conduisant un break Renault 12 de la préfecture. Au cours de ce film, la peau tachetée et perlante de l’actrice dans sa quarantaine, au pinacle de sa domination sexuelle, sera dévoilée à plusieurs reprises. Facilité scénaristique ou machisme inhérent des productions d’alors, je ne me prononcerai pas. D’autres que moi en déconstructivisme et patriarcat sont plus calés. Je tiens juste à signaler que le spectateur adolescent que je fus ne se plaignit pas de cette image d’une Marlène à poil pointant son arme de service sur des collègues lourdingues. La fiction se nourrit aussi de raccourcis.
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La déferlante western ou l’assaut du blouson et du jean
Quarante ans plus tard, ce qui me fascine vraiment, ce n’est pas la nudité triomphante de Marlène mais bel et bien, les changements vestimentaires opérés dans les rangs de la police. Le costume-cravate, sous l’influence du cinéma américain et d’une démocratisation de l’institution, laisse brutalement la place à une forme de décontraction nerveuse et militante. En clair, le tee-shirt vient de remporter la bataille idéologique du vestiaire. Il ne reste guère que François Périer, impeccable haut-fonctionnaire de l’intérieur, inégalable dans la distinction et la vacherie complice, pour s’afficher en croisé et montrer ostensiblement la rosette au revers de son veston. Pour le reste de la distribution, la chemise amidonnée et le pantalon à pinces ont cédé aux assauts du blouson et du jean. Le trench vit ses dernières heures, on lui préfère désormais le cuir en format court ou trois quart ceinturé à la taille. La mode western fait des ravages même chez les gradés. L’inspecteur Marie Garcin (Marlène Jobert) a une panoplie de tee-shirts qui coûterait une fortune actuellement sur le marché de la fripe, Mickey Mouse pour la nuit et Fruit of the Loom en journée, « oversize » of course. Elle alterne entre une veste en vachette sauvage et une « Field Jacket » de type M65 qui met ses cheveux frisés à la Julia Migenes en valeur. Elle a comme un air de Jennifer Beals, près de quatre ans avant la sortie de « Flashdance ». Les autres flics, à l’exception des préretraités attachés au tergal et au paletot en acrylique, enfilent tous des tee-shirts, notamment à l’enseigne de la « New York University », idéal pour une planque dans le quartier latin. Mention spéciale au regretté Jean-François Stévenin qui ne se sépare pas de sa fine moustache et d’une belle veste Belstaff de motard. L’esprit cowboy règne en maître dans ce long-métrage. À la fin du générique, tout naturellement, la boutique « Western House » située jadis au 13, avenue de la Grande-Armée est vivement remerciée. « Le premier véritable bazar western à Paris », selon la célèbre formule publicitaire, dirigé par Maurice Chorenslup, décédé en début d’année 2023 fut le rendez-vous des stars des années 1960/1980.
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C’est grâce à l’activisme de ce visionnaire de la santiag et du jean que la mode US a déferlé dans notre pays. Claude Brasseur en patron de l’antigang (Fuch) n’est pas encore le père de Vic. Dentiste à l’imper mastic, il profite de sa post-adolescence en sweat Wrangler et en baskets Adidas Rom. Il met seulement le nœud papillon quand il doit convaincre une juge dans les allées d’un supermarché. Son alter-ego, le commissaire Ballestrat (Claude Rich), plus académique dans sa mise, résiste au confort du sportswear, il conserve ainsi le foulard de soie au volant de sa Peugeot 305. Sa seule concession au relâchement ambiant réside dans le port d’une barbe quelque peu brouillonne. Malgré cette évolution des penderies, Ballestrat n’oublie pas les fondamentaux : « Vous avez de la chance Marie, vous n’avez qu’à obéir, moi je dois décider ».
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