Comment expliquer la fascination que Jean-Jacques Goldman continue d’exercer sur nous? Il incarne une allure, voire une noblesse, que nous cherchons en vain ailleurs dans la vie publique de notre pays. Le billet de Philippe Bilger.
Je vais lire évidemment le livre de l’écrivain et professeur d’histoire Ivan Jablonka sur Jean-Jacques Goldman, sobrement intitulé Goldman. L’auteur a un talent que j’ai déjà pu apprécier.
Pour être franc, j’éprouverai un léger sentiment de frustration parce que je suis persuadé que Jean-Jacques Goldman ne s’en désintéressera pas comme, avec beaucoup d’élégance, il m’avait annoncé qu’il l’avait fait pour les trente pages que je lui avais adressées : Mon Jean-Jacques Goldman. Il m’avait appris qu’il ne lisait jamais rien de ce qui était écrit et publié sur lui. Pourtant j’avais la faiblesse de considérer qu’il n’aurait pas été inutile qu’il se penchât sur cette tentative d’explication de son incroyable et si durable aura.
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Sur ce blog, je lui avais déjà consacré plusieurs billets dont un qui, le 21 décembre 2006, « La France en Suisse ! » le comparant à Johnny Hallyday, renvoyait à Corneille et à Racine en soulignant que Johnny, c’était l’humanité telle qu’elle est et Jean-Jacques, telle qu’elle devrait être. On a tenté médiatiquement de découvrir les secrets de cette singularité exceptionnelle, pourquoi Goldman fascine toujours (Le Parisien).
J’entends bien que sa rareté et sa discrétion, qui lui sont si naturelles que personne ne les perçoit comme une affectation, n’y sont pas pour rien dans cette dilection qui dure.
Mais il me semble qu’il y a d’autres raisons plus profondes et que probablement elles ne sont pas à chercher seulement dans l’enfance et la jeunesse de Jean-Jacques Goldman. Même si je ne doute pas de la forte influence de ses parents sur lui, surtout celle de son père. On peut gloser sur « un gamin renfermé, banal et grisâtre » et appréhender sa destinée artistique comme une métamorphose faisant passer cette personnalité que rien ne distinguait, paraît-il, au statut d’immense star. Le contraste entre cette lumière et son comportement demeurant ordinaire faisant encore davantage ressortir son éclat de quelques années comme compositeur, chanteur, en solo, ensuite en groupe, puis son effacement voulu et organisé.
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Je me demande si la clé essentielle ne réside pas dans le lien que l’opinion publique, les Français ont construit avec lui. Comme s’il était le modèle dont en creux ils avaient toujours attendu, espéré la venue. Non pas l’affirmation d’une familiarité – il est comme nous – mais le contraire : « Heureusement il n’est pas comme nous » !
Le quotidien nous effraie par une multitude de désordres, de violences et d’horreurs qui nous interrogent sur une humanité dont nous ne pouvons nous dissocier mais qui indigne parce qu’elle nous déshonore. Il y a, grâce à Jean-Jacques Goldman, l’irruption dans notre conscience collective de l’inverse.
On n’a jamais assez insisté, sans doute pour ne pas nous accabler nous-mêmes, sur la particularité noble d’un Goldman, échappant parce qu’il est lui et pas nous, à ces poisons d’une modernité en roue libre, qui constituent notre lot ordinaire. Égoïsme, narcissisme, médiatisation forcenée, esprit partisan, générosité ostentatoire, événements privés et intimes livrés au public, souci de soi plus que des autres, passion du somptuaire, culte délirant des réseaux sociaux : ces dérives sont le socle à partir duquel Goldman nous apparaît tel un miracle aux antipodes.
Karl Marx, au sujet de la religion, parlait « du cœur d’un monde sans cœur » : Jean-Jacques Goldman est dans nos têtes et nos sensibilités parce qu’il a de la tenue, de l’allure, quand la France, notamment dans ses hautes sphères, en manque. On adore Jean-Jacques Goldman parce que, nous épargnant l’envie, il est des nôtres sans l’être. Il est d’ailleurs, en quelque sorte.
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