La chanteuse américaine dont le succès repose, non seulement sur ses qualités d’artiste, mais aussi sur sa dénonciation de la grossophobie et sa promotion de la « body positivity », vient d’être accusée de ce qu’elle condamne chez les autres. Elle a bien sûr droit à la présomption d’innocence, mais ces accusations doivent mettre mal à l’aise les idéologues qui prétendent qu’il faut toujours croire les victimes quand ces dernières sont femmes et non-blanches.
La planète wokiste est en pleine ébullition depuis quelques jours. Ses militants éveillés aux micro-agressions qui émaneraient de la société occidentale qu’ils jugent comme structurellement phallocrate, raciste, homophobe, transphobe et grossophobe, se réveillent complètement sonnés par ce qui vient de se passer : une de leurs égéries est mise sur le banc des accusés où se trouvent généralement des mâles blancs de plus 50 ans.
Pourtant, l’accusée a le profil de la victime idéale dans le monde des minorités se vivant comme constamment discriminées : elle est obèse et noire et elle est mondialement connue. Mais voilà, derrière le rôle de victime auto-proclamée peut se cacher un bourreau bien épais. On a donc appris que Lizzo, cette pop star américaine récompensée d’un Grammy Award cette année, devançant Queen B et la chanteuse britannique Adèle, est accusée par trois de ses anciennes danseuses de ce qu’elle n’a eu de cesse de dénoncer et de combattre. Harcèlement sexuel, discrimination religieuse et raciale, grossophobie, et plusieurs autres faits d’agression, tels sont les chefs d’accusation retenus à l’encontre de la star. Si ces accusations s’avèrent fondées, ce sera le comble pour celle qui a fait de sa corpulence XXXL et de sa couleur de peau sa marque de fabrique.
Je twerke, donc je suis
Car Lizzo est certes célèbre pour ses chansons pop mais aussi pour ses vidéos tapageuses sur les réseaux sociaux où on la voit quasi nue, exhiber fièrement ses bourrelets en twerkant en bikini, ou poser vêtue d’un minuscule string laissant dévoiler son énorme derrière alors qu’elle montait à bord d’un jet privé…. de vrais moments de grâce ! Dans d’autres vidéos, elle se montre en peignoir de bain après sa douche et s’auto-proclame « norme de beauté ». Et c’est précisément l’exhibitionnisme de sa chair débordante, cette « fat pride », qui a plu aux « fat activists », ces militants de la graisse qui revendiquent l’utilisation du mot « gras » pour dénoncer la grossophobie qui serait structurellement ancrée dans la société blanche occidentale.
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C’est ainsi que Lizzo est devenue l’une de leurs ambassadrices. Aubrey Gordon, une influenceuse connue sous le pseudonyme de Your Fat Friend et qui se définit comme une « autrice, femme blanche grosse et queer et fat activist », a fait de Lizzo une des figures de proue du mouvement pro graisse et une icône de la lutte intersectionnelle, se référant à elle plusieurs fois dans ses prises de position comme dans son dernier bestseller destiné à évangéliser les consciences à la grossophobie : « You Just Need to Lose Weight » and 19 Other Myths About Fat People (« Vous n’avez qu’à perdre du poids » et 19 autres mythes au sujet des gros, Beacon Press, 2023).
Mais voilà, les accusations récentes suggèrent que les bourrelets ne seraient pas si acceptés que ça par la pop star ! Ses danseuses, également noires et clairement en surpoids, l’accusent entre autres d’avoir fait des remarques déplacées sur leur prise de poids. Voilà que Lizzo, obèse et fière de l’être, serait grossophobe ? Est-ce la célébrité qui lui a retourné le cerveau ? Peut-être… Mais ses fans diront sans doute pour l’excuser qu’elle a dû intérioriser les normes de la société blanche, patriarcale, raciste et grossophobe qu’elle est censée déconstruire.
Mince-ophobie
En tout cas cet épisode pourrait être de nature à torpiller le manichéisme teinté de moralisme primaire selon lequel les gros sont de gentilles victimes et les minces de méchants bourreaux. Cette vision binaire, affligeante de bêtise, est d’ailleurs au cœur de l’essai d’Olivier Bardolle, Éloge de la graisse, dans lequel il explique ni plus ni moins que les minces sont des néofascistes narcissiques, obsédés par leur image et le contrôle, et que les gros sont des victimes vulnérables, ouverts sur le monde, lucides, hypersensibles, et bien entendu hyper-altruistes.
Le cas de Lizzo suggère exactement le contraire : qu’on peut faire partie de ces minorités dites victimisées et être un gros bourreau machiavélique.
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Quant aux accusations d’harcèlement sexuel, si elles s’avèrent vraies, cela jette un pavé de discrédit dans la marre du mouvement #Metoo, puisqu’elles prouvent bien que le statut de victime n’est pas ancré génétiquement dans un sexe, que ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est victime par nature, que des femmes peuvent également harceler d’autres femmes et que la sororité n’est pas un bouclier anti-vice. Idem pour le mouvement #BLM (black lives matter) qui laisse toujours penser que les Afro-américains sont victimes de racisme uniquement de la part de « rednecks » pro-Trump, prêts à se lancer à l’assaut du Capitole une deuxième fois. Si Lizzo a fait preuve de racisme envers ses sœurs de couleur, cela démontre que le racisme n’a pas de couleur de peau. Bienvenu dans la réalité complexe du comportement humain.
Il reste que Lizzo sera bien contente de pouvoir se réclamer du principe de la présomption d’innocence que certaines néoféministes misandres en France souhaitent abolir.
Espérons que cette polémique fera prendre conscience des écueils de ce qui pourrait s’appeler, si on tente un néologisme, « le grossisme », cette idéologie qui conçoit la grossophobie, non pas comme un comportement individuel, mais comme un mal structurel propre à la société occidentale.
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