C’est dans une atmosphère de fin de règne que l’élection présidentielle devrait se dérouler le 17 avril en Algérie. En campagne à Oran, le premier ministre Abdelmalek Sellal a annoncé samedi, sans rire, la candidature de Abdelaziz Bouteflika, 77 ans en mars, au pouvoir depuis 1999 : « La décision de Bouteflika de se porter candidat a été prise sur l’insistance du peuple et à l’issue d’une profonde réflexion. » Un signe qui ne trompe pas, c’est son frère de vingt ans son cadet, véritable éminence grise du pouvoir, Saïd Bouteflika, qui a déposé son dossier de candidature.
« Ma génération a fait son temps » avait pourtant déclaré lors de son dernier discours public en mai 2012 le président algérien. Les faits lui ont donné raison car depuis, l’agenda du président algérien est avant tout médical. Entre accident vasculaire cérébral et convalescence à Paris, seuls quelques rendez-vous lui sont imposés par un entourage omniprésent. Lequel a décidé de ne pas respecter sa volonté, puisque le président convalescent devra se représenter pour un quatrième mandat de cinq ans. Les marionnettistes qui se disputent les fils de cette présidence de septuagénaires croulants ne sont pas près de lâcher leur jouet.
Mais, en dépit des apparences, le changement de génération annoncé a eu lieu. Seulement, il s’est fait au sein de la fratrie Bouteflika. Comme si la démocratie algérienne hésitait entre la gérontocratie soviétique des années Andropov-Tchernenko et la transition cubaine des frères Castro. S’il finit son quatrième quinquennat, Bouteflika aura 82 ans. Le patron des services (DRS) Mohamed Mediène 79 ans, tout comme le chef d’état-major et vice-ministre de la Défense le général Ahmed Gaïd Salah. En coulisses ou dans la presse, les appareils de l’Etat profond cachés derrière leurs vieillards respectifs se livrent une guerre féroce: la DRS, le FLN et l’état-major sont à couteaux tirés. C’est sans doute leur incapacité à désigner un candidat commun qui les a poussés à ne pas trancher la question de la succession Boutef’. En attendant, la génération de la guerre d’indépendance reste désespérément aux manettes.
Le clan Bouteflika cherche aussi à se protéger des scandales de corruptionsrévélés par les câbles de WikiLeaks relayés par El Pais. Des enquêtes sur les concessions agricoles, sur l’autoroute Est-Ouest et surtout sur Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale et véritable vache laitière de l’État algérien sont en cours. Pour Bernard Bajolet, actuel DGSE et alors ambassadeur à Alger « La corruption, qui remonte jusqu’aux frères de Bouteflika [Saïd et Abdallah], a atteint un nouveau sommet et interfère dans le développement économique ». Bref, pour les Bouteflika, la meilleure façon de maîtriser le processus judiciaire, c’est quand même de rester au pouvoir.
Anticipant le verrouillage de l’élection qui s’annonce (en 2009 déjà, Bouteflika avait été élu au premier tour avec 90% des voix), le Mouvement social pour la paix, parti issu des Frères musulmans, longtemps allié du FLN, a appelé au boycott. De même que le RCD, un parti d’opposition laïc kabyle. Quant au principal syndicat gouvernemental, il a de plus en plus de mal à tenir ses troupes, isolant encore davantage l’Etat-FLN. En Égypte et en Tunisie, les reports de succession à la tête du pouvoir ont eu des conséquences redoutables pour les dictateurs Ben Ali et Moubarak. La corruption et les luttes d’appareil conjuguées au refus d’intégrer la mouvance islamiste, tout cela a composé un cocktail détonnant. Et redonné une certaine virginité aux barbus.
*Photo : Saïd et Abdelaziz Bouteflika. AP/SIPA. AP21507670_000003.
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