La comédie Barbie, sortie dans les salles le 19 juillet, est un immense succès commercial. La firme américaine Mattel envisage ainsi de sortir 14 autres films tirés de ses jouets. Faut-il s’en réjouir?
I’m a Barbie girl / in a Barbie world / I’m in plastic/ It’s fantastic. Cette chanson de 1997, des Danois de Aqua, semble appartenir à un autre monde. En effet, en 2023, Barbie devient féministe et Ken découvre le patriarcat. Le film fait un tabac en France : 1,1 million d’entrées en une semaine. Au MK2 Beaubourg, la salle était effectivement comble et le public très jeune. La critique de Causeur devait être la plus âgée dans le cinéma, ce soir-là. On ne s’attardera pas ici sur la raison d’un tel succès; peut-être le jeune public est-il ravi d’assister à la déconstruction du mythique couple en plastique ? Parlons-en de déconstruction : ce qui nous a vraiment poussés à aller voir le film, finalement, ce sont justement les innombrables journalistes, toutes tendances confondues, de Elle jusqu’au Nouvel Obs, qui poussaient tous de hauts cris de satisfaction : enfin, le symbole de la perfection – à mon sens, Barbie est trop parfaite pour faire rêver – allait se confronter au vrai monde, et à bas le patriarcat ! Quelques mots au sujet de la forme : l’aspect kitch du film, avec ce rose éblouissant, un peu écœurant, a été comparé à plusieurs reprises à l’univers de Jacques Demy. Eh bien, je dis non, mille fois non. Inconditionnelle de Demy, j’affirme ici que son univers est ô combien plus raffiné, chaque détail ayant chez lui son importance pour servir la narration. Cette débauche de kitch ultra-maîtrisé chez l’Américaine Greta Gerwig fait en revanche plutôt penser aux films de John Waters, le pape du trash cheap et pop. Barbie aurait pu être, dans sa forme, un film de John Waters à qui on aurait offert un budget colossal, car, finalement, la débauche de moyens et de couleurs guimauve finit par donner au film un aspect un peu malsain… Le propos du film a été maintes fois rabâché : Barbie (Margot Robbie) se voit obligée de faire un tour dans le monde normal, car, horreur ! Elle se découvre de la cellulite et ses pieds sont devenus plats. Il faut donc qu’elle se rende chez Mattel, la maison mère, pour réparer ces abominations. Ken (Ryan Gosling) la suit, et découvre le patriarcat – mais un patriarcat d’opérette auquel il ne comprend rien, et dans lequel il se ridiculise. La propagande tourne à vide, et finit par produire l’effet inverse : le patriarcat, cela n’est finalement pas sérieux… Caramba, encore raté ! Et le féminisme, mis en avant partout dans la presse, ne servirait donc à rien non plus ? Le monde de Barbie a toujours été un monde de femmes et Ken n’y a toujours fait que de la figuration. L’intérêt du film réside plutôt dans ses références assumées : notamment celle à Un jour sans fin, car les journées de Barbie obéissent au même rituel immuable et un peu terrifiant. Le fait que les protagonistes s’appellent toutes « Barbie » provoque d’ailleurs comme un sentiment de film d’épouvante. En étant attentif, nous pouvons percevoir aussi des allusions à Alice au pays des Merveilles, laquelle se retrouve, elle aussi, propulsée dans un monde inconnu, ou encore à Cendrillon, car l’obsession de Barbie est de pouvoir chausser à nouveau ses petits escarpins roses. Ce film a donc quelque chose du conte. Ou, à la fin du film, quelque chose de Frankenstein, Barbie retrouvant, cerise sur ce gâteau écœurant, sa créatrice, Ruth Handler, qui lui permet d’accéder à l’humanité – et à la cellulite donc.
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Seuls ces aspects un peu fantasmagoriques rendent le film intéressant, car le reste du temps, le discours qu’il véhicule surfe sur la doxa actuelle de manière maladroite. À tel point que nous avons l’impression d’avoir affaire à du féminisme pour les nuls.
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