De jeunes militants ou influenceurs, friands des réseaux sociaux débilitants, ne sont pas toujours particulièrement brillants dans leur réaction aux excès du néoféminisme…
Si citer Antonio Gramsci est devenu une figure imposée du temps, réduisant l’Italien à quelques maximes décontextualisées, force est d’admettre que nous observons durant la phase d’interrègne que constitue notre époque « les phénomènes morbides les plus variés » : néo-féminisme, alter-féminisme, anti-féminisme, masculinisme, incels, white charia, et autres « mages noirs » pseudo-évoliens, peuplent désormais nos imaginaires. Certes, les réseaux sociaux et les médias agissent comme des miroirs déformants, et la grande majorité des Français ne sont pas au courant, c’est tant mieux, des guerres picrocholines que se livrent les diverses factions de trolls qui sévissent sur internet.
Une nébuleuse numérique en réaction
Vu de l’extérieur, les allumés de Youtube qui ne cessent de se « clasher » et de se provoquer en duel, de comparer la taille de leurs sexes respectifs et de s’envoyer des références de bouquins qu’ils n’ont probablement pas lus au visage, multipliant les emprunts pseudo-scientifiques et les références pop, passent au mieux pour d’aimables plaisantins totalement foutraques, et au pire pour des personnalités égocentriques, extrêmes sur les plans psychologique et comportemental. Dans ce chaos numérique, certains jeunes hommes, largués dans la compétition amoureuse, tentent de retrouver confiance en eux en accusant les femmes d’adopter une mauvaise conduite, réclament l’instauration d’une « white charia » qui leur soit plus favorable, ou bien encore s’inventent des dogmes à la limite de l’ésotérisme.
Les « mages noirs » forment, par exemple, une communauté de puceaux très immatures, qui affichent ostensiblement leur fierté de n’entretenir aucun contact avec des membres du sexe opposé. Ces frustrations, si elles sont néanmoins parfois évoquées sur le ton de la plaisanterie, font naître des comportements sociopathiques lourds qu’exploitent abondamment les gourous 2.0, prodiguant des conseils de marabouts que masquent à grand peine des formules grandiloquentes et des postures de matamores de foire. Jean-Kevin y croit, mais ce n’est pas en passant sa vie sur YouTube à maudire le présent qu’il finira un jour par ressembler à Brad Pitt dans Troie ou à un Elon Musk grimé en templier de carnaval. Ce milieu, que d’aucuns qualifient de « dissidence », n’est au fond qu’une énième fosse d’aisance de l’Occident contemporain. Tout n’y est que querelles de chapelles, et l’on vous y force rapidement à choisir un camp, dont on vous exclut à la moindre opinion divergente. Les nouvelles stars du genre s’exposent avant tout pour vendre un produit – leur personne – mais non pour diffuser des idées. Quant aux jeunes hommes, ils oublient souvent que le féminisme déconstructiviste et l’effondrement de la société traditionnelle ont fait autant de dégâts chez les hommes que chez les femmes.
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S’expriment chez eux tous les travers de la postmodernité qu’ils abhorrent pourtant à longueur de vidéos lénifiantes. À la recherche d’un quart d’heure de célébrité warholien, ces demi-habiles à l’esprit embué par des lectures trop rapides et mal digérées sont les produits de leur époque, les jumeaux de leurs ennemis « social justice warriors ». Les relations amoureuses y sont donc le plus souvent réduites à des listes Powerpoint et à des méthodes qui ressemblent assez à l’astrologie. Les hommes y sont notamment classés selon des hiérarchies : alpha, bêta et autres sigmas formant le gros du contingent.
Andrew Tate : la star incontestée du milieu
Mondialement célèbre, Andrew Tate est le roi du coaching pour jeunes hommes en quête de virilité. Accusé de trafic d’êtres humains en Roumanie, pays depuis lequel il a bâti une fortune financière dans l’activité de la webcam pornographique, ce Britannique converti à l’islam et amateur de grosses cylindrées apporte aux adolescents testostéronés des conseils pour ne plus être des « losers ». D’autres, plus portés sur la construction d’une famille traditionnelle, mettent en avant la « tradwife » ; cuisinière de petits plats traditionnels, mère de famille et épouse modèle toujours prête à rendre service.
En France, Thaïs d’Escufon s’est d’abord fait connaitre comme « influenceuse » identitaire avant de basculer dans le milieu du contre-féminisme conservateur, sorte de Némésis du « néo-féminisme » souvent misandre qui fait florès à gauche. Pourquoi pas, l’intention n’était pas mauvaise en soi… Le résultat laisse toutefois à désirer. Ainsi, le 14 juillet, cette jeune demoiselle s’est lancée dans un petit fil Twitter autour de la notion de « slutshaming » : « Le slutshaming est un mécanisme de réputation redoutablement efficace qui a été utilisé pendant des siècles pour inciter les femmes à être fidèles et se comporter correctement. N’en aurait-on pas besoin plus que jamais ? Juger les comportements déviants, les pointer du doigt, s’en moquer, c’est tout ce qu’il devrait y avoir de plus normal. C’est très humain. Et ce sont d’ailleurs les femmes qui l’utilisaient plus que tous les autres. » Effectivement, dénoncer la femme adultère est vieux comme Hérode et toutes les femmes sont loin d’adopter un comportement irréprochable – la perfection est-elle d’ailleurs bien de ce monde ? -, mais se laisser aller au « slutshaming » peut conduire à des drames. L’affaire Shaïna et différents épisodes de harcèlement se sont basés sur ce type de rumeurs populaires… On rappellera d’ailleurs que Jésus lui-même avait demandé aux Pharisiens cherchant à lapider Marie Madeleine qui parmi eux « n’avait jamais pêché ».
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Dans d’autres séries de tweets, Thaïs d’Escufon dénonce les mères célibataires, les filles à la cuisse légère ayant un « bodycount » supérieur à cinq garçons, ou encore dresse des listes de « signaux verts » destinés à orienter les hommes dans leur choix d’épouse. Bien évidemment, ces signaux relèvent la plupart du temps du simple bon sens, mais aussi et surtout de l’appréciation personnelle des individus.
Et l’amour dans tout ça ?
À l’échelle historique, la normalisation du mariage d’amour est une invention relativement récente.
Toutefois, la civilisation occidentale a toujours fait une large place au romantisme – les conquérants musulmans de l’Espagne s’entendaient d’ailleurs sur ce point avec leurs homologues du Nord, ce qui donna naissance à l’amour courtois -. Nos mythes et notre patrimoine culturel sont remplis d’histoires d’amours impossibles toutes plus belles les unes que les autres, de Tristan et Iseult en passant par Roméo et Juliette ou encore Le Rouge et Le Noir. Ce que tous ces influenceurs proposent est un appauvrissement des liens instinctifs et subtils qui lient les hommes et les femmes. La séduction, l’attraction amoureuse ou sexuelle, ne peuvent se limiter à des petites listes. Il y a une part d’inconnu dans laquelle les plus jeunes devraient s’abandonner. N’écoutez rien d’autre que votre cœur serait peut-être le meilleur conseil à leur donner… Et l’amour fait mal, il est impossible de se prémunir de toutes les souffrances, de la séparation aussi.
Les modes de vie contemporains ont certes provoqué la généralisation du divorce et il n’est probablement pas inutile d’en expliquer les raisons, notamment la mobilité professionnelle et les difficultés matérielles. Mais enfin, n’y a-t-il pas une place pour un peu de grandeur d’âme, un peu de légèreté, un peu de don de soi qui impliquent autre chose que la stricte normalité traditionnelle fantasmatique ? Il n’y a pas une femme pour un homme. Mais des femmes différentes pour des hommes qui ne le sont pas moins.