L’un des événements notables de l’année 2013 est sans doute l’élection du pape François et l’extraordinaire engouement qu’elle a aussitôt suscité. À en croire Odon Vallet, il s’agirait déjà du pape le plus populaire de tous les temps. Un sondage BVA, réalisé fin décembre, indiquait ainsi que 85 % des Français en ont une bonne opinion, propor- tion qui s’élève à 94 % chez les catholiques et qui transcende les différences d’âge ou d’orientation politique puisque le souverain pontife rallie 80 % des électeurs de gauche et 75 % des jeunes. Cette formidable popularité a suscité des gloses divergentes : ouverture et simplicité pour les uns, simplification à outrance, reddition en pleine campagne, abandon des fondamentaux pour les autres. Certains s’émerveillent de ce que, à l’encontre de son prédécesseur − ou plutôt de l’image qu’on a voulu en donner −, François fasse montre de simplicité, de modestie, d’ouverture et de compassion. Ses détracteurs, en revanche, accusent le nouveau pape d’accompagner la désintégration graduelle d’un catholicisme en voie de résorption dans le spirituellement correct contre lequel Benoît XVI demeurait arc-bouté. À leurs yeux, François, zélateur d’une Église « cool » et d’une religion de confort, serait en passe d’être le dernier pape : un fournisseur de sparadrap spirituel pour les petits bobos de l’âme moderne. Dans le fond, qu’ils s’en désolent ou s’en réjouissent, tous se rejoignent pour voir en François un pape compassionnel, tolérant – bref, un pape « de gauche ».[access capability= »lire_inedits »]
Deux récents livres d’entre- tiens[1. Je crois en l’homme. Conversations avec Jorge Bergoglio, Flammarion, avril 2013 ; L’Église que j’espère. Entretien avec le père Spadaro, Flammarion, novembre 2013, dont sont tirées les citations ci-après.] laissent pourtant entrevoir un personnage tout à fait différent. Sur un plan politique, par exemple, on serait tenté de voir en François l’artisan d’une « démonarchisation »de l’Église : lorsqu’il renonce à certains signes de majesté, plaide pour une approche collégiale du pouvoir ecclésiastique ou affirme que « l’ensemble des fidèles est infaillible dans le croire ». On oublie que, dans le même temps, il assure que les hommes ont plus que jamais besoin d’autorité, récusant ainsi une autogestion, peut- être sympathique mais utopique. Ainsi rappelle-t-il qu’« autorité vient de augere, qui signifie faire croître », ou encore que l’autorité, « si elle est exercée avec justesse, implique de créer un espace pour que la personne puisse évoluer ». À l’inverse, écrit-il, « quand on retire de l’autorité, on retire un espace pour l’évolution ». Bref, le pape n’ignore nullement que, souvent, on réduit la liberté en pensant l’accroître. On retrouve la même inspiration classique sur le plan dogmatique.
L’Église avait pu laisser croire que la religion se ramenait à une série d’interdits, notamment sexuels. La volonté exprimée par le pape de porter l’accent sur d’autres points et d’affirmer une « hiérarchie des vérités » a pu laisser penser – en particulier à ceux qui le souhaitaient – qu’il entendait transformer le catholicisme de fond en comble. Pourtant, sa vision évolutive du dogme n’a rien à voir avec le « relativisme des valeurs consensualisées » qu’il pourfend avec la même vigueur qu’il s’élève contre le consumérisme spirituel, la privatisation de la foi ou l’« espèce de théisme vague qui mêle le psychologique et le parapsychologique », le New Age, les huiles essentielles et la relaxation. La tolérance n’empêche pas l’intransigeance : les attaques du pape contre la « civilisation du rebut » ne relèvent pas d’un catholicisme revu à la sauce gauchiste mais d’une lecture parfaitement conforme au dogme. Tout se tient : la foi, les valeurs et la civilisation ne sauraient être mises au service de l’homme si elles sont conçues comme jetables, interchangeables et biodégradables…[/access]
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