Pascal Thomas, le réalisateur de La Dilettante et des Zozos présentera fin janvier 2024 Le Voyage en pyjama, un film indépendant, élégant, frais et à l’opposé du cinéma français. Et à partir d’octobre 2023, La Cinémathèque française lui consacrera une rétrospective des films de sa carrière. C’est l’occasion pour Causeur de revenir sur son histoire et sur son regard du cinéma français.
Causeur. Avant de devenir cinéaste, vous étiez journaliste pour plusieurs magazines dont des journaux gaullistes, c’est ce qui vous a ouvert les portes du milieu du cinéma ?
Pascal Thomas. J’ai été journaliste pendant six ans, de 18 à 24 ans, en effet dans un hebdo gaulliste, le Nouveau Candide. Mais j’ai écrit un peu partout, là où l’on m’accueillait. Paris Presse, France Soir, Elle, Lui, Réalités et… L’Humanité. J’ai commencé à écrire quand j’étais lycéen. Je rédigeais des articles sur le cinéma dans une revue qui avait été créée par mon professeur de français, Roland Duval, intitulée V.O. à Montargis. Il avait également monté un cinéclub. Ses élèves le relayaient pour présenter des films. J’avais provoqué un petit scandale en présentant La ronde de l’aube, d’après Faulkner et en louant plus que de mesure la beauté des jambes de Dorothy Malone sautant en parachute en robe. Le prof d’anglais avait hurlé : « Faulkner a été trahi ! ». Pour moi Douglas Sirk a très joliment trahi Faulkner ! Roland Duval n’était pas comme les autres professeurs dans ces années-là. Il n’était pas un sartrien, un camusar. Il n’était pas dans le moule. Ses auteurs étaient Labiche, Feydeau, Molière et pour les modernes Blondin, Nimier, Déon, Françoise Sagan. Ceux qui sont loués aujourd’hui par les Hussards. C’était ce qui me plaisait, ce qui me plaît toujours d’ailleurs, la clarté et la précision du style, la distance ironique. J’ai été engagé comme pigiste, puis comme journaliste pour gagner ma vie, puisque ma mère n’avait pas d’argent. Une anecdote pour définir mes choix et ma position, quand Paul Giannoli rédacteur en chef du journal le Nouveau Candide, m’a demandé ce que je voulais écrire comme papier je lui ai répondu sur tout, sauf la politique. Je trouvais ça assez vain. Donc j’ai parlé de cinéma et de littérature. Je faisais le portrait d’auteurs tels que Nabokov, Borgès et j’interviewais des cinéastes comme Hitchcock, Melville, Paul Morand, Hawks, Chabrole et Truffaut.
Truman Capote aussi !
Ah ! Truman Capote c’était à Paris, j’accompagnais le rédac’ des pages littéraires. On s’est retrouvé chez Maxim’s. Durant le repas, Truman Capote me caressait les mains en disant « I love your hands ».
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Vous avez également interviewé Claude Berri, avec qui vous avez beaucoup collaboré par la suite. Est-ce lui qui vous a fait basculer du journalisme vers la réalisation ?
Plus ou moins. À l’époque, j’avais commencé la rédaction un roman, mais j’avais un mal fou à écrire les descriptions. Pendant notre discussion, il m’a demandé quel était le titre de mon livre, c’était Les garçons pleurent aussi. Il m’a dit que c’était idiot et que, de toute façon, il ne fallait pas écrire de roman. Après l’interview je suis rentré chez moi, j’ai pris un chapitre de mon roman et je l’ai transformé en scénario. Le lendemain, je montre le scénario à Claude Berri, qui le donne à son directeur de production. Quelques mois plus tard, Berri m’a appelé pour me dire que la plus grosse avance sur un court métrage qu’on ait donné était pour nous. Il fallait alors se mettre à tourner mais je n’avais aucune notion de quoique ce soit ! Mon premier film était donc Le poème de l’élève Mirkovsky, sorti en salle en 1971 on complément de programme du Dernier tango à Paris.
Vous avez présenté quatre films au Festival de Cannes qui n’ont pas été sélectionnés (un succès dont on peut rendre responsable votre caractère et les longs conflits que vous avez eu avec Gilles Jacob) et pendant 7 ans vous avez été président de la Quinzaine des réalisateurs, devenue Quinzaine des cinéastes. Cannes a-t-il beaucoup changé ?
Oui bien sûr, comme a changé la société. Dans les années 60 on pouvait y voir de grands hommes, des génies, le plus souvent modestes, comme Bunuel, Cocteau, de grands cinéastes américains ou italiens. Depuis les années qui ont suivies, ça s’est ratatiné, plus exactement à partir de la Nouvelle Vague. Ce sont développés des films aux mises en scène acrobatiques, bien loin des plans séquences somptueux d’Otto Preminger ou des raffinements de Max Ophüls. Curieusement, pratiquement pas de comédies présentées à Cannes. Heureusement, les films de comédies italiens ont pu faire une percée et y être représentés avec succès. Le cinéma est le reflet de l’esprit du temps et cet esprit et ses idées en vogue sont pénibles, ennuyeuses. Il va de soi qu’on doit s’y opposer, mieux, ne pas les remarquer. Ou si l’on tient à bien montrer quelle tragédie cet esprit-là est pour la pensée, l’intégrer dans une comédie, parce que dans toute comédie disait Léotaud, il y a la tragédie.
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Vous avez également créé un prix, celui du Carrosse d’or, qui récompense les réalisateurs, pourquoi ?
J’ai tenu à ce que cette reconnaissance soit faite hors champ du commerce, c’est un hommage rendu aux réalisateurs pour et par les réalisateurs. La petite statuette créée par l’artiste Lili Legouvello reflète bien l’image de ce prix qui favorise d’abord la création indépendante. La liberté de tournage où on ne se laisse pas influencer par les conformismes ou les peurs du temps. Ce sont des réalisateurs vraiment indépendants qui sont consacrés. Le premier à le recevoir était Jacques Rozier. Il y a eu Clint Eastwood, Alain Cavalier et Agnès Varda, parmi les récompensés
Il semble être un prix à contre-courant…
Le prix s’oppose à tous ces néo-fascismes que j’ai vu se développer ses 30 dernières années dont le plus représentatif et le plus dangereux est le mouvement appelé Woke, qui selon moi qui malgré le sens qu’on veut lui donner est un endormissement de tout mouvement d’indépendance, un affaissement, une liquéfaction de la pensée critique, de révolte et de libre pensée. Bref une imbécilité comme le préfère mon désigné et définitif caractère moqueur. Mon père poitevin qui nous a quitté quand j’avais 6 ans, nous avait un jour conduit mon frère, ma sœur et moi visiter les ruines d’Oradour-sur-Glane qui se trouvent à proximité de notre village en Poitou, où la division Waffen SS Das Reich, dans d’horribles conditions, avait exterminée presque tous les habitants. J’entendais mon père nous dire « ne vous soumettez jamais, ne dénoncez jamais, ne suivez jamais les mouvements, les hommes, les supposés chefs, qui refusent toutes libertés, ils ne portent en eux que des idées criminelles. »
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