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Petit remaniement et grand rétrécissement

On ne change pas une équipe qui perd: Macron refuse de donner la tête de Borne aux Français


En déplacement en Nouvelle-Calédonie (flanqué de son ministre de l’Intérieur déçu de ne pas avoir été promu à Matignon), Emmanuel Macron abordera enfin le sujet des émeutes urbaines ayant laissé derrière elles plus de 1000 bâtiments dégradés et près de 6000 véhicules calcinés, en répondant à 13 heures aux questions de Jacques Legros et Nathanaël de Rincquesen à la télévision. Le président voulait faire du remaniement un non-évènement. Il y a parfaitement réussi. Non qu’il ait bien manœuvré ou parfaitement maîtrisé sa communication, c’est juste que ces ajustements ne portent aucun message politique et ne donnent aucun sens à la poursuite de ce quinquennat, selon notre chroniqueuse. En revanche il en souligne les faiblesses : il montre un pouvoir replié sur le dernier carré de fidèles, incapable d’attirer à lui des personnalités fortes ou d’élargir sa base, sans souffle ni idée.


Le président de la République a tenté de mettre un peu d’ambiance dans une actualité qui manque de flamboyance depuis que les émeutiers ont renoncé à leur politique de redistribution des biens basée sur la voiture bélier et le bénévolat dans le débarrassage des stocks. Pour cela, il a eu une idée de génie : utiliser le remaniement pour mettre en scène le second souffle d’un quinquennat qui n’a pas encore su trouver le premier.

Hélas, là où avant, être appelé à un ministère était un honneur et une consécration, aujourd’hui la fonction est démonétisée et décrédibilisée. Elle n’attire souvent que des ambitieux plus doués pour manœuvrer que pour œuvrer. Mais surtout, cette fois-ci aucun gros poisson ne s’est laissé prendre dans les filets, il n’y a aucun nom à brandir comme prise de guerre, personne pour alimenter une séquence de communication. Le remaniement n’était pas censé être un non-évènement. Il l’est devenu. Le réel a tranché : être au gouvernement n’attire pas les meilleurs d’entre nous.

Nos ministres, ces inconnus

D’ailleurs les ministres sont tellement transparents que les Français ne retiennent ni leur nom ni leurs visages. Le nouveau monde voulu par Emmanuel Macron est un monde sans figures ni repères. Dans « l’ancien monde », nos représentants nous accompagnaient pendant des années. Cela crée des habitudes qui finissent par devenir des liens. C’est un peu comme les gens que vous connaissez depuis longtemps : parfois vous n’avez pas grand-chose en commun, mais la durée de la relation en devient la qualité et lui donne un sens ou au moins un sentiment de permanence. Dans un monde où rien ne parait durable, tangible ou assuré, c’est déjà quelque chose.

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Qui sait ou se souvient de ce que faisait Jean-Christophe Combe ? Jean-François Carenco ? Geneviève Darrieussecq ? Bérangère Couillard ? Olivier Klein ou Isabelle Rome ? La question est purement rhétorique. La plupart des ministres de l’ancien comme du nouveau gouvernement sont inconnus pour les Français – pire même, ils les laissent complètement indifférents. On peut même se demander s’il est nécessaire de perdre du temps à retenir les nouveaux noms. J’avais un ami qui était un sérial séducteur ; à la fin, entre nous, on ne retenait plus les noms de ses copines pour appeler la dernière en date : la énième. La façon de procéder d’Emmanuel Macron avec ses ministres me donne le même sentiment.

La compétence ne suffit pas

D’aucuns diront que ce n’est pas si grave. Après tout ces ministres sont peut-être très compétents. Le problème c’est qu’en politique, cela ne suffit pas. La compétence s’exerce en milieu normé, elle s’appuie sur la maîtrise, la prévisibilité et la réglementation. Elle organise ce qui a déjà été dompté. Elle s’exerce dans un cadre. Le politique, lui, a pour domaine l’imprévisible. Il doit donner un cap même, peut-être surtout, par temps d’orage. Il affronte l’incertain et doit parfois trancher et prendre des risques. Le technocrate gère, le politique affronte, dirige et protège. Cela demande d’autres qualités. Être un politique, ce n’est pas exercer une fonction technique, c’est être capable d’entraîner les hommes dans une direction pour peser sur le cours de l’histoire. Le rôle du politique va au-delà de la compétence. Être un politique, c’est à la fois avoir une vision et posséder une capacité d’incarnation.

La vision, c’est ce qui permet d’inscrire l’avenir d’un peuple dans une histoire et un projet, c’est la sève politique de la nation. C’est la capacité à donner un sens au présent et à proposer un chemin vers l’avenir. L’incarnation, c’est quand la représentation fait exister les principes et valeurs qui nous fondent en tant que peuple. C’est une projection dans un corps physique et en même temps le dépassement de la personne réelle. Charles de Gaulle illustre parfaitement le caractère unique du dirigeant et une image qui en fait l’incarnation d’une certaine idée de la France. Le politique, dans sa version idéale, est le symbole de l’existence d’une identité collective. Quelqu’un en qui les citoyens se reconnaissent, se projettent et qui devient le garant des liens qui les unissent au-delà des querelles qui peuvent les opposer. C’est une alchimie complexe mais c’est le seul moyen pour pouvoir parler de la France et de la République sans que les mots aient l’air d’être trop gros pour la bouche qui les prononce. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas avec ce remaniement que l’on résoudra le problème de l’absence d’incarnation de nos représentants, à commencer par le premier d’entre eux. D’ailleurs le non-évènement a vite tourné en piteux ratage.

Amateurisme, indifférence, absence de perspectives et entre soi : les vraies leçons du remaniement

La manière même dont l’annonce du remaniement s’est passée est un concentré de ce qu’il ne faut pas faire en politique. L’impression d’amateurisme a été désastreuse. Alors qu’un remaniement est techniquement un processus maîtrisé, on a assisté à une procédure mal pensée, exécutée par des bras cassés. Cela a donné le sentiment qu’en macronie, être disruptif, cela n’a rien à voir avec une forme de créativité. C’est juste faire le malin en cassant des procédures éprouvées, pour constater au final que, s’il existait un protocole, c’était parce qu’il était utile.

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Ainsi, pour casser les codes, chaque ministre a été chargé d’annoncer sa nomination. Cela a donné lieu à une pagaille générale. N’importe qui pouvant s’autoproclamer ministre en théorie. Il a donc bien fallu sortir un communiqué officiel permettant aux rédactions de s’assurer de la qualité et de la réalité des informations qui ont circulé toute la journée. Résultat, le remaniement a été l’occasion une fois de plus de se gausser de l’incompétence du pouvoir, ce qui n’est jamais de bon augure dans le cadre d’un lancement d’équipe.

On ne prend pas les mêmes mais on recommence quand même

Autre échec du remaniement, les Français s’en fichent, mais ils sont quand même déçus (61% se disent déjà insatisfaits du nouveau gouvernement[1]). Bon, il faut dire que, comme nous venons de le voir, ils connaissaient à peine les membres du gouvernement précédent, la seule personne dont ils réclamaient le départ était la Première ministre ! La remplacer aurait pu faire croire à la possibilité d’un changement. Ils ont eu leur réponse : elle reste. Les choses auraient été différentes si des personnalités importantes et représentant quelque chose aux yeux des Français avaient été désignées ou s’il y avait eu un accord avec les LR. Le remaniement aurait été alors porteur d’un message politique fort. Là c’est un peu : on ne prend pas les mêmes mais on recommence quand même.

Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Bruno Le Maire à l’Élysée le 12 décembre 2022 © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA

Le repli sur l’entre soi

Nous observons le resserrement autour des proches d’Emmanuel Macron. Cela rappelle le gouvernement Chirac, en 2002, suite au choc de l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle. Jacques Chirac, au lieu d’ouvrir son gouvernement et d’essayer d’aller chercher une forme d’union nationale, s’était au contraire replié sur son carré de fidèles. Et son quinquennat a fini en peau de chagrin.

Il y a aussi un second message dans ce remaniement, qui a déjà été beaucoup commenté ailleurs, c’est bien sûr l’échec des personnes venant de ce que l’on appelle « la société civile » et le retour à des profils plus politiques (exit Pap Ndiaye, François Braun et Marlène Schiappa, bienvenue à Gabriel Attal et Aurore Bergé !). La politique, contrairement à ce qui se dit paresseusement, serait-elle un métier ?

Avec un tel bilan, il est difficile de parler de second souffle à propos du remaniement. En effet, difficile de créer une soufflerie quand on ne dispose que d’un éventail. Ce qui est réellement inquiétant, c’est que l’absence de poids lourds et de personnes susceptibles d’incarner autre chose qu’une ambition personnelle envoie un message fort : faire partie de ce gouvernement est démonétisé et les meilleurs d’entre nous se détournent de l’action collective. Cela ne devrait pas nous laisser à ce point indifférents.


[1] Sondage Odoxa – Backbone



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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