La divulgation du classement des prénoms des émeutiers a apporté la démonstration que des petits Français de souche étaient heureux de pouvoir dire, eux aussi, « wesh frérot ! ». Analyse.
Les prénoms Kevin et Mattéo ont fait renouer les Français avec les délices de l’onomastique, c’est-à-dire avec l’étude des noms propres, de leur origine et du sens dont ils sont porteurs.
Tant d’efforts bourdieusiens de profs lecteurs de Télérama anéantis
Emboîtant le pas aux élèves de classe de Première, lesquels ont pu répéter à l’envi en juin dernier lors des oraux des épreuves anticipées du Baccalauréat de français que le Pamphile des Caractères de Jean de la Bruyère (1645-1696) – ce personnage petit-mondain orgueilleux et hypocrite- était comme condensé dans une onomastique programmatique («pamphile » : « qui aime tout le monde et toutes choses »), les Français se sont à leur tour essayés à des commentaires lexico-sociologiques de moyenne volée sur les brillants prénoms du moment – curieusement moins présents chez La Bruyère – les Mohammed, Enzo, Dylan, Théo, Ali, Yacine et autres Kevin de ces épreuves anticipées d’un genre nouveau qu’on nomme émeutes urbaines.
Mais contrairement au cours sur la Bruyère et son Pamphile, le cours sur Mohammed et Mattéo n’a pas été très utile : la grille de lecture n’a pas fonctionné, le cours dispensé par le professeur depuis 40 ans n’a servi à rien. Pourtant, les Français avaient bien tout appris par cœur, on leur avait assez rabâché, ils ont été bons élèves : dans l’imaginaire commun, les Kevin et les Mattéo jouent aux jeux vidéo et au laser game, s’abrutissent devant les écrans depuis 40 ans (de la télé à l’iPad et le 10e smartphone pour leurs 10 ans), sont casaniers, un chouïa abrutis, gavés de culture et de malbouffe américaine dans des familles françaises de souche déculturées; les Louis, les Nicolas et à la limite les Maxime préparent les concours aux grandes écoles depuis le CP; et les Mohammed, les Ali et les Yacine sont quant à eux laissés pour compte, rejetés de cette société odieusement bourdieusienne au carré qui ne leur a jamais donné aucune chance, à part des écoles laïques, gratuites et obligatoires, des MJC à gogo et des articles de presse dans Télérama.
Effectivement, le cours rabâché depuis 40 ans n’a servi à rien dans la compréhension du réel de ce mois de juin, et certains ont pu avoir comme des palpitations à la lecture des prénoms des émeutiers dont ils pensaient qu’ils seraient écrits en lettres d’or sur l’habituel Monument aux Maures. Mattéo a joué au mortier game avec Mohammed et mis le feu à des écoles.
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Mais comment pouvait-il en être autrement ? Dans quel monde vivent ceux qui pensent encore que la jeunesse française est tripartite, avec d’un côté ceux qui bénéficieraient toujours d’une instruction de qualité, élitiste et exigeante, solidement enracinée dans les humanités et les sciences, susceptible de former des citoyens appelés à former une nation, de l’autre ceux qui n’y ont plus goût par manque d’attractivité de l’école (jamais assez ludique, jamais assez bienveillante par définition) et par manque d’acharnement thérapeutique de la part de ses professeurs, et enfin ceux pour qui tous les efforts n’ont bien sûr jamais été entrepris – c’est bien connu – pour qu’ils y prennent goût ?
Quoicoubeh
Qui ne voit toujours pas aujourd’hui que la jeunesse française s’uniformise, au sein même de l’école, que les Mattéo et les Guillaume adoptent les codes langagiers onomatopéiques des Ali et des Mohammed, tous oints, en prime, du même discours clanique lénifiant sur l’inclusif, la bienveillance, la repentance et la-déconstruction- nécessaire-d’un-système-de-pensée-écoféminicide-et-LGBTQ+ non-compatible ?
Petits Français de souche heureux de pouvoir dire « eh mon frère!!! » en cours de récréation à celui qui n’est pas son frère, à qui l’école n’a plus rien à proposer de structurant mis à part « l’inclusion » à un âge où l’on ne sait pas encore qui l’on est soi-même, à qui l’on apprend à l’école élémentaire que “ le verbe change” car dire qu’un verbe se conjugue devient assez énigmatique et demande un éclaircissement préalable, à qui l’on fera plusieurs cours d’histoire en classe de 5e sur « Chrétienté et Islam, des mondes en contact », qui portera un tee-shirt de football au nom de Kylian Mbappé en cours d’espagnol où la seule page du manuel scolaire consacrée au célèbre tableau de Velázquez Les ménines (1656) préconise : regarde ce tableau de Velázquez, c’est un selfie de l’époque (les éditions de cet édifiant ouvrage auraient d’ailleurs pu ajouter « virgule mon frère »).
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Ces émeutes urbaines, un échec de l’assimilation ? Au contraire, l’assimilation n’a jamais autant battu son plein, les jeunes Français transfuges de race adoptant avec la rapidité de l’éclair toute une sous-culture précisément racisée et prête à l’emploi, très facilement assimilable car indigente, faite de tics langagiers affligeants, de pauvreté sémantique, d’intonation gueularde et hachée, de codes d’honneur qu’on appelait encore récemment de la mauvaise éducation, sur une démarche à la fois claudiquante et élastique, uniformément noyée dans de sinistres survêtements.
Sous-culture qui émoustille l’Education Nationale et bon nombre de professeurs trouvant formidablement et intéressant un jeu de mots débile («quoicoubeh ») qui a récemment tourné en boucle sur les télés et radios bien-pensantes tout à leur émotion devant la folle créativité de cette jeunesse si prometteuse dont on a pu dire à tort qu’elle mettait beaucoup de mauvaise grâce à apprendre correctement quelques strophes de Maurice Carême. Sous-culture concurrentielle de celle qui peine à se maintenir actuellement dans notre pays, sous le coup d’une charia de non-existence, prononcée il y a six ans par l’actuel président de République.
« Nom de pays : le nom. » C’est dans ce chapitre du premier tome d’A la recherche du temps perdu que Marcel Proust explique la différence entre un mot et un nom. Les mots, explique-t-il, nous présentent des choses « une petite image claire et usuelle comme celles que l’on suspend aux murs des écoles pour donner aux enfants l’exemple de ce qu’est un établi, un oiseau, une fourmilière ». Les noms, noms de lieux et de personnes, sont le point de départ à des rêveries et des images confuses, tel le nom de la ville de Parme qu’il associait, sans l’avoir jamais vue, à des impressions de douceur mauve, lisse et douce. Les mots n’ont aujourd’hui plus rien à voir avec l’idée de clarté et les noms ne sont vraiment plus le point de départ à de confuses rêveries proustiennes.
Tout est peut-être là, d’une certaine façon.
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