Cher M. Peillon,
Vous ne me connaissez pas, je suis l’un de ces milliers d’étudiants de fac qui va chaque jour en cours, passe ses partiels, espère valider son année et réfléchit à son avenir.
Depuis la classe de cinquième, je souhaite devenir enseignant par amour des lettres, de la littérature, de notre langue et de la culture en général. Animé de cette passion, je souhaitais la transmettre aux prochaines générations, comme de brillants professeurs m’ont transmis leur goût pour leur discipline.
Je crois en la force émancipatrice de l’école, en sa capacité de promotion de tous, jusqu’aux plus modestes. Ou, plutôt, devrais-je dire : j’y croyais. Car lorsque je vous regarde vous agiter dans tous les sens, monter les enseignants les uns contre les autres, défendre des lubies complètement déconnectées des réalités de l’enseignement, les bras m’en tombent.
À votre arrivée au ministère de l’Éducation nationale, j’étais sans doute trop confiant. Votre parcours d’agrégé de philosophie, spécialiste de Ferdinand Buisson, me rassurait : enfin un enseignant à la tête du ministère, enfin un passionné d’école, me disais-je. Vous ne pouviez que mieux faire que les DRH et autres saltimbanques vous ayant précédé, qui se sont fait une joie de détruire l’école de la République. Mais j’ai vite déchanté. Vous vous êtes en effet empressé d’appliquer le programme égalitariste ultralibéral dont toute une partie de la gauche rêvait depuis des années.
J’ai manifesté avec les enseignants et les étudiants de prépa quand vous avez décidé d’en faire les bêtes noires de l’Éducation nationale. Si je suis sorti dans la rue, c’est que la classe préparatoire, son fonctionnement et ses exigences, m’ont permis d’arriver là où je suis aujourd’hui. Ne vous en déplaise, les prépas ne sont pas des repaires de nantis qui pratiquent avec ardeur la cooptation et entretiennent la haine du pauvre cantonné au BEP maçonnerie. Fils d’ouvrier de l’est de la France, poussé par mes parents conscients du rôle capital de l’instruction, je suis aujourd’hui monté à Paris pour m’épanouir intellectuellement après mon passage en classe prépa. Demain, l’agrégation pourrait être votre prochaine cible puisque vous la jugez sans doute tout aussi élitiste et anachronique que les prépas.
Mais ce n’est pas tout. Vous avez décidé de réformer le CAPES pour en faire un vague brevet de pédagogie et d’animation de classe quand il faudrait que les professeurs excellent dans leur discipline pour qu’ils recouvrent leur autorité. En lettres, la connaissance disciplinaire compte seulement pour un tiers de la note finale, cela témoigne d’un grave mépris pour le savoir.
Je me suis étranglé quand vous avez décidé de supprimer manu militari le CAPES de lettres classiques, accompagnant ainsi la mort des humanités classiques dans le secondaire et bientôt en fac. Par vos réformes, vous aggravez les pires inégalités : les élèves d’Henri-IV et Louis-le-Grand perfectionneront encore leur latin dans quinze ans alors que « les pauvres de banlieue » seront réduits à organiser des « itinéraires de découverte » sur le « vivre-ensemble » et la sécurité routière.
Tout occupé à promouvoir l’école du numérique, vous refusez mordicus de vous attaquer aux 20% d’élèves de sixième qui ne savent ni lire ni écrire, aux largesses de correction à tous les examens, au passage automatique dans la classe supérieure.
La liste de vos méfaits est encore longue. Ne parlons pas du gel de l’avancement, piste que vous avez évoquée avant de la démentir face à la bronca du corps enseignant.
Du reste, je sais que vous avez une carrière politique à mener. J’ignorais néanmoins que le tribut à payer pour atteindre Matignon fût si lourd. Soit dit en passant, si vous en avez l’occasion, recommandez à François Hollande de ne pas choisir la jeunesse comme priorité de son second mandat, elle a déjà assez souffert de votre « refondation ». Vos brillantes saillies sur la laïcité ou les principes fondateurs de la République n’y changeront rien. De grâce, cessez de rendre hommage à Jules Ferry, il s’est déjà assez retourné dans sa tombe…
Une petite lueur au fond de moi me pousse à me battre pour aider les enfants, notamment les plus défavorisés. J’aurais aimé leur faire découvrir les humanités et la grande culture, éléments certes inutiles au quotidien mais indispensables au développement de l’esprit. Hélas, l’école ne le permet plus. Je démissionne donc de l’Éducation nationale avant même d’y être entré.
*Photo : LILIAN AUFFRET/SIPA.00675977_000025.
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