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Quand l’antisémitisme de la bonne conscience s’acharne sur Polanski

Pour de nombreux militants, c'est certain: le réalisateur jouit d'un "privilège juif"


Quand l’antisémitisme de la bonne conscience s’acharne sur Polanski
Emmanuelle Seigner et Roman Polanski, Cannes, mai 2017 © VILLARD/NIVIERE/SIPA

En partant du cinéaste Roman Polanski, lequel fait l’objet d’un boycott qui ne dit pas son nom, la philosophe et politologue Renée Fregosi nous propose un voyage à travers la galaxie des néo-antisémites.


En 2020, à la sortie du film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus, « J’accuse », devant les salles qui l’avaient mis à l’affiche, des pancartes dénonçant le cinéaste avaient été brandies par des manifestantes de « balance ton porc » hurlant des insultes aux spectateurs « complices du violeur ». Mais le public n’en a eu cure et le film a connu un grand succès. Cette année, les cinéphiles français n’auront pas en grand nombre la chance de voir et d’apprécier le documentaire « Promenade à Cracovie » au cours duquel Roman Polanski et le photographe Ryszard Horowitz échangent leurs souvenirs d’enfance juive dans le ghetto. Car les exploitants des salles de cinéma ont pour la plupart cédé à une pression discrète mais insistante : « la programmation risquerait de provoquer des manifestations hostiles devant vos salles, vous savez bien qu’un film de ou avec « le violeur Polanski » ce n’est pas possible ! D’ailleurs le film n’est pas bon. » Fermer le ban !

Roman Polanski et Ryszard Horowitz © Robert Sluzniak KRKFILMS / ARP SELECTION

Qu’il s’agisse d’antisémitisme dans ces deux films fustigés par la bien-pensance, ne semble avoir attiré l’attention de personne, et l’acharnement à poursuivre Polanski de la vindicte justicière n’éveille guère non plus le soupçon d’antisémitisme à son encontre. Mais peut-on s’en étonner dans un pays où on entend désormais couramment sans que cela n’émeuve plus que ça, les cris de « Mort aux Juifs ! » ou de « Sales Juifs ! » ? Ce fut le cas lors de manifestations « pro-palestiniennes » (Paris, juillet 2014, mai 2021), et d’autres « contre l’islamophobie » (Paris novembre 2019) ou « contre le racisme et les violences policières » (Paris juin 2020). Et encore dans les récentes nuits d’émeutes (Paris juillet 2023) les slogans « Mort aux porcs, mort aux Juifs » ont été enregistrés. (Encore des « porcs », hasard de vocabulaire ?). Parfois d’ailleurs accompagnées de violences de type pogromiste contre des personnes juives, ces rassemblements avaient incontestablement une connotation antisémite décomplexée.

Antisémitisme : un spectaculaire retournement de situation

Il faut dire que l’antisémitisme avançant masqué et qui s’est depuis longtemps installé dans le paysage français, a bien préparé de terrain. Ainsi, drapés dans la bonne conscience, les militants de ladite « cause palestinienne » s’attaquent systématiquement à Israël. Recyclant de vieux discours anti-Juifs dans le contexte du conflit israélo-palestinien, l’antisionisme accuse Israël de mettre en œuvre « une guerre d’extermination du peuple palestinien ». Au nom des droits de l’Homme, toutes les attaques contre Israël sont donc légitimées.

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Tandis que par le passé, l’antisémitisme racial opposait dans une lutte à mort, la « race pure », blanche, arienne ou germanique aux Juifs caractérisés négativement comme métissées, métèques, orientaux, l’antisémitisme antisioniste tend aujourd’hui à assimiler Juifs et Israéliens au prétendu dominateur blanc, au colonialiste, au capitaliste impérialiste, à l’occidental honni. Et les activistes du mouvement MeToo qui s’acharnent tout particulièrement sur Roman Polanski, de préciser l’ennemi : « le mâle blanc », et d’induire en subliminal : « le Juif jouisseur lubrique ».

La théorie puante du « privilège blanc »

À la limite, paraphrasant Jacques Givet, on peut dire que « les néo-antisémites » ne reconnaîtraient Israël que s’il conservait « en tant qu’État les constantes spécifiques négatives qui furent les siennes en tant que peuple : précarité, vulnérabilité, minorité, aliénation. Si Israël acceptait ces constantes, endossait les malheurs et la malédiction du Juif errant, ils iraient jusqu’à le plaindre », mais « qu’il ait vaincu leur paraît proprement inconcevable ». Quant à Roman Polanski, enfant rescapé de la Shoah dont nul ne peut ignorer la judéité, son génie, sa réussite et plus encore sa réconciliation avec Samantha Geimer (la seule avec qui il ait reconnu avoir eu des relations sexuelles inappropriées dans un passé maintenant fort lointain) et le soutien indéfectible de sa compagne Emmanuelle Seigner, insupportent au plus haut point les moralisatrices néo-féministes. À son encontre aussi, c’est alors encore le fameux « privilège juif » qui est dénoncé.

La théorie aberrante du « privilège blanc » a produit en effet un surgeon spécifiquement antisémite. À la mi-juillet 2020, résonnant avec l’hashtag #privilège blanc, lancé aux États- Unis, est apparu sur Twitter l’hashtag #JewishPrivilege (« privilège juif »), repris par plus de 122 000 messages antisémites en vingt-quatre heures. Les Juifs seraient non seulement des profiteurs, des exploiteurs, des expropriateurs, mais aussi des privilégiés par rapport à des groupes qui seraient « stigmatisés », discriminés, spoliés, frustrés de leurs dus, dépouillés de leur statut de victimes à assister, à promouvoir par une « discrimination positive », par des avantages compensatoires, par des privilèges en miroir en somme. N’est-ce pas ce qui est sous-entendu dans certaines manifestations, par le port de croissants jaunes évoquant l’étoile jaune et par la juxtaposition du drapeau israélien et de la croix gammée ou du symbole « SS » ? Les Palestiniens, mais aussi les Arabes, les immigrés, les « migrants », seraient « les Juifs d’aujourd’hui ».

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Une variante de cet antisémitisme du privilège peut d’ailleurs aller jusqu’aux thèses négationnistes : les Juifs feraient plus qu’instrumentaliser la Shoah, ils l’auraient inventée !  Alors, il serait doublement légitime de boycotter le film documentaire « Promenade à Cracovie » : non seulement les violeurs désignés doivent être « annulés » (disparaître de la scène publique) ad vitam aeternam, mais les Juifs ne doivent plus « se prévaloir » de la Shoah. Certes, pour justifier que le film ne soit quasiment pas programmé en France, en niant les pressions exercées sur les diffuseurs on peut argumenter de plus ou moins bonne foi comme le fait le journal Libération, que cette « déambulation hagarde » n’a aucune « idée de cinéma ».  Mais au souvenir des réactions virulentes similaires à la sortie de l’excellent « J’accuse », on peut émettre de sérieux doutes sur l’argument de la qualité cinématographique.

Les insultes proférées à l’encontre de Polanski appelé « Atchoum » à la cérémonie des César de 2020 (qui donc a également un gros nez dans l’iconographie antisémite ?) relevaient en effet incontestablement de l’antisémitisme. Et parmi les manifestantes on avait même entendu : « Celui qui doit être gazé c’est Polanski » ou « Polanski, bois nos règles » (allusion aux prétendus meurtres rituels où le sang des victimes serait mêlé au pain azyme des Juifs fêtant Pessah). « Que cet aspect antisémite ait été le plus souvent dénié ne supprime pas ce que l’analyse précise des slogans et des discours fait clairement apparaître », comme le démontre parfaitement Sabine Prokhoris. 

Face à cet antisémitisme de la bonne conscience de plus en plus insolent, il est urgent de réagir. Non pas seulement parce qu’il est scandaleusement injuste et criminel de s’en prendre aux Juifs, mais aussi parce que les Juifs sont une fois encore cette malheureuse « avant-garde » des victimes du totalitarisme qui nous menace tous. Le soutien à Polanski doit devenir systématique, répondant coup par coup aux attaques réitérées qui lui sont portées. Et la solidarité avec Israël doit pareillement nous mobiliser Juifs et non Juifs, car en affrontant au quotidien ses ennemis dans la région, l’État juif contribue à la défaite du totalitarisme islamique qui sévit aussi sur notre territoire. Ce qui se joue au Proche-Orient comme en France et en Europe, c’est probablement notre avenir commun.

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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