Une contre-culture a émergé en France. Pourtant, les origines ethniques et le nombre de participants de l’insurrection sont soigneusement minimisés par l’exécutif, lequel, comme les journalistes, préfère s’attarder sur des considérations purement sociologiques et économiques.
« Qui avait prévu ce qui allait se passer ? », a déclaré Emmanuel Macron, lors d’un échange avec des élus des Pyrénées-Atlantiques, jeudi 6 juillet, à Pau. Il n’est pas difficile de répondre au président : tout le monde savait qu’un tel évènement pouvait arriver. Et pour cause, les « banlieues » n’ont eu de cesse de s’enflammer au cours des trente dernières années. Analyse.
Il est pourtant à craindre que les leçons politiques et sociales à tirer des derniers évènements ne soient balayées d’un revers de la main par un exécutif trop heureux de pouvoir rapidement tourner la page, comme s’il ne s’agissait ici que d’un simple épisode. Le déchainement de violence marquera pourtant durablement les esprits. Homme de gauche, le twitto appelé Café Littéraire l’affirmait quant à lui sans ambages, animé d’une lucidité nouvelle à la lumière des évènements : « Il est probable que nous sommes en train de vivre, sans même nous en rendre compte, un moment historique de l’Histoire de France. Nous sommes dans la fabrication négative d’une mémoire qui empêchera à l’avenir toute forme d’intégration culturelle et de cohésion nationale. » Le verbiage propre à la « socio » masque ici mal la crainte de voir voler en éclats l’idéal républicain propre à la gauche traditionnelle face à l’atomisation du corps social dans les sociétés complexes.
Une contre-culture des « quartiers » qui se propage en dehors des murs de la cité
« C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Au fur et à mesure de sa chute, pour se rassurer, il se répète : « Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien », dit le narrateur dans une célèbre scène du film La Haine. Étonnant syncrétisme entre des éléments traditionnels des cultures musulmanes et africaines de l’Ouest, des emprunts aux ghettos américains, une mentalité d’assiégés propre aux minorités soudées et des apports français évidents, ce qu’on appelle la « culture des banlieues » se vit hors la France, hors la République et hors la « population majoritaire ». Cette contre-culture est pourtant physiquement en France, en constituant l’un des fragments, contribuant à l’élaboration de notre imaginaire collectif contemporain.
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La culture des ghettos français est même désormais un modèle pour tous les quartiers comparables du continent européen. Le son propre au rappeur marseillais Jul, dont le dernier clip voit apparaître Nahel sur une moto de cross, s’est ainsi exporté en Espagne, en Suède, en Belgique, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne, notamment grâce à son album collaboratif Europa. Les rappeurs italiens utilisent par exemple des expressions françaises telles que « wesh alors », « salut comment ça va » et autres dans leurs morceaux. Les banlieues françaises sont le maître étalon de l’Union européenne du rap et de l’immigration.
Et cette culture traverse toute la société française. Il n’est qu’à consulter les classements Spotify ou YouTube pour constater que les musiques dites urbaines sont présentement les plus écoutées par l’ensemble de la jeunesse. Comparativement à 2005, émeutes nourries par une politisation très forte, celles de 2023 avaient des aspects proches du « carnaval » estudiantin du Moyen-Âge : la casse pour le feu d’artifice, le pillage pour le vol d’opportunité. On a d’ailleurs pu observer qu’une fois leur gain enregistré, de nombreux émeutiers se sont empressés de vendre le produit de leur forfait sur des chaînes Telegram dédiées au recel et à la vente de drogues. Smartphones, trottinettes électriques et sneakers ont été bradés.
Reste toutefois un sous-texte politique qu’il serait aussi criminel qu’idiot de négliger. Dans le bien nommé L’Insurrection qui vient, Le Comité invisible théorisait une convergence des luttes pour abattre le système : « L’incendie de novembre 2005 n’en finit plus de projeter son ombre sur toutes les consciences. Ces premiers feux de joie sont le baptême d’une décennie pleine de promesses. (…) Il suffit d’entendre les chants de l’époque, les bluettes de la “nouvelle chanson française” où la petite bourgeoisie dissèque ses états d’âme et les déclarations de guerre de la Mafia K’1 Fry, pour savoir qu’une coexistence cessera bientôt, qu’une décision est proche. » Il faut bien comprendre qu’une étincelle suffit désormais pour enflammer les « quartiers », laquelle flamme irradie jusqu’à l’ultra-gauche des black blocs trop heureuse de saisir l’occasion dès qu’elle le peut.
Elle fait aussi sortir des jeunes de tous les milieux dans les rues. Sans tomber dans le piège grossier tendu par Gérald Darmanin qui a relevé que les émeutiers étaient des « Kevin et des Matteo », la liste des vingt prénoms les plus récurrents parmi les manifestants arrêtés fait ressortir une bonne dizaine de prénoms habituellement portés par des Français n’ayant pas d’origine immigrée extra-européenne. De fait, les adolescents masculins en montée de testostérone sont tous enclins à aller au contact par envie d’adrénaline. Toutefois, il n’est pas exclu du tout que la police ait plutôt appréhendé des individus en marge des émeutes dans les centres des villes, ou un plus grand nombre de casseurs politisés à gauche que d’émeutiers des banlieues. Nous ne le saurons malheureusement jamais puisque nous n’aurons pas d’études sérieuses sur l’ethnie, la sociologie, le milieu familial ou le parcours des émeutiers. Notre pouvoir politique préférant jouer sur l’ambiguïté plutôt que d’affronter la réalité afin de cibler et de traiter les maux qui nous affligent.
Une minimisation flagrante des évènements
Pour l’heure, le gouvernement et Emmanuel Macron semblent se féliciter de l’arrêt des pillages. Il a fallu 40 000 policiers pour en finir, c’est-à-dire un déploiement maximal. En quelques jours, les hordes de « gobelins » réunies sur Snapchat et Telegram dans une course folle à qui ferait le plus de dégradations, ont provoqué a minima un milliard d’euros de dégâts. Les émeutes de 2005 s’étaient produites du 8 au 21 novembre et avaient entrainé 250 millions d’euros de destructions. Moins de policiers avaient été mobilisés et les différents heurts n’avaient pas dépassé les frontières des « quartiers ».
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À en croire Gérald Darmanin, 7 000 émeutiers ont mis la France à feu et à sang. Étaient-ils des membres d’unités d’élite militaire, des Anglais du Stade de France ? Le chiffre est irréaliste, et la réalité sans doute plus proche des 100 000 participants évoqués par Pierre Brochand, ancien officier supérieur du renseignement. Une fois de plus, nous n’en aurons jamais la certitude… « C’est effrayant de penser qu’aujourd’hui des gamins peuvent dorénavant agresser n’importe qui comme bon leur semble. Ils ont balayé toutes les règles, y compris la loi. Il n’existe pas de mot, ni en français ni en anglais, qui exprime l’opposé du verbe “civiliser” : le concept n’existe pas. Mais il s’agissait bien pourtant ici de l’anti-civilisation en action : une transgression de tous les codes comportementaux qui maintiennent la cohésion d’une société », écrit Andrew Hussey dans Insurrections en France – Du Maghreb colonial aux émeutes de banlieues, histoire d’une longue guerre, ouvrage dressant une généalogie des émeutes ethniques en France de la période coloniale à nos jours.
Visiblement, cela n’effraie pas spécifiquement notre gouvernement qui ne pense qu’à réformer l’Éducation nationale, censurer si besoin les réseaux sociaux, et mieux éduquer les « garçons ». Toutes ces propositions peuvent avoir leur pertinence, mais elles travestissent les questions de long terme qui traversent la France : faisons-nous toujours nation ? Qu’avons-nous de commun pour nous réunir ? À dire vrai, pas grand-chose. Cette interrogation ne se borne d’ailleurs pas aux seules frontières ethniques tracées par l’immigration ancienne et ses descendants nés en France comme par les migrants de fraîche date, mais concerne aussi le peuple français tout entier.
On a pu voir durant cette épreuve que la gauche a mis sciemment de l’huile sur le feu, ainsi du reste qu’une grande partie des médias étrangers et de la communauté internationale, Algérie et Turquie en tête. La France est l’homme malade de l’Europe. Comment parler d’un peuple quand il n’existe plus vraiment ? Comment parler d’ordre public quand la notion même fait désordre en politique ? Manuel Valls avait évoqué un « apartheid social », il est à craindre qu’il ne faille bientôt parler d’un divorce civilisationnel. Les banlieues sont la boîte de Pandore d’un avenir français en pointillé…
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