Le 13 février dernier, la Belgique est devenue le premier pays au monde à autoriser les enfants atteints d’une maladie incurable souhaitant abréger leurs souffrances à pouvoir faire le choix de l’euthanasie. En étendant aux mineurs cette possibilité offerte aux adultes douze ans plus tôt, le législateur n’a pas souhaité l’assortir d’une limite d’âge comme aux Pays-Bas mais a préféré la conditionner à la « capacité de discernement» de l’enfant qui, par ailleurs, doit se «trouver dans une situation médicale sans issue entraînant le décès à brève échéance » et être confronté à une «souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Il devra au demeurant être conseillé par une équipe médicale et un psychiatre ou un psychologue, et recevoir l’accord parental.
Comme à chaque « avancée sociétale », on a joué partition de la lutte contre l’hypocrisie et l’inégalité contre une certaine conception de la civilisation, plaçant les partisans de cette loi dans le camp des esprits tolérants et ses détracteurs dans le camp des rétrogrades. Et c’est ainsi qu’un arsenal législatif est venu encadrer une pratique qui existait de toute façon nous a-t-on dit, en même temps qu’il reconnaissait l’égalité de l’enfant et de l’adulte devant la douleur, s’est-on empressé d’ajouter. En matière de sophisme, on ne saurait mieux faire. Car cette réflexion s’appuie à la fois sur la violation d’un interdit comme motif de légitimation de celui-ci et sur un principe d’égalité dont la portée ne connaît aucune limite en soi. Comme si la traque de l’illégalité devait voir entérinées toutes les transgressions au risque que la loi devienne la simple spectatrice du défoulement des passions de chacun.
Non moins absurde, la loi a soumis l’autorisation faite à l’enfant de procéder à son euthanasie à sa capacité de discernement. Mais comment juger de la capacité de discernement d’un enfant et quelle autorité pourrait bien y prétendre ? Alors qu’il ne peut contracter mariage, voter ou se présenter à une élection, se rendre au casino, dans certains cas conduire une mobylette et a fortiori une voiture, se passer d’une autorisation parentale pour se rendre à une sortie scolaire, que sa responsabilité pénale est limitée voire nulle et que sa responsabilité civile relève de ses parents, voilà que l’enfant est propulsé, sur une question qui n’est ni plus ni moins que celle de sa vie ou de sa mort, en être autonome et émancipé, à même de décider de son sort. Confronté à la souffrance dont la mesure est purement subjective, à tout le moins élastique, la loi belge sert à l’enfant la mort comme échappatoire idoine, comme seule issue en réalité. Un enfant peut-il se détacher de la loyauté à ses parents et de la confiance qu’il remet dans le corps médical pour prendre sa décision?
Et que dire de la responsabilité que l’on fait incomber aux médecins qui auront à assumer cet acte ? Comme le soulignait récemment le philosophe et ancien ministre Luc Ferry, l’euthanasie fait peser sur le médecin la charge de procurer cette mort. Il n’est alors plus question d’autonomie de l’individu en ce qu’il fait appel à autrui pour exécuter sa volonté. En cela l’euthanasie n’est pas une affaire individuelle car elle transforme subitement le médecin en porte-flingue, la prétendue dignité comme rémunération.
Récemment, l’euthanasie d’un girafon au zoo de Copenhague a soulevé une émotion planétaire. Les journaux, les réseaux sociaux, les stars cathodiques du monde entier se sont élevés pour dénoncer un acte inhumain. La loi belge aura eu bien moins d’effets. Seul le veto du roi peut encore venir contrer le choix du parlement. C’est le sens de la pétition adressée à Philippe de Belgique et qui compte aujourd’hui pas loin de 140 000 signatures.
*Photo:CLOSON DENIS/AMADUZZI/SIPA. 00655587_000017
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